fois pour Faust, elle vivra une troisième fois pour le poète, pour Goethe ; mais dans leur existence nouvelle ces types se modifient, se transforment pour se mettre en harmonie avec les siècles qu’ils éclairent de leur présence presque divine. Ils gardent le modèle impérissable et consacré qui est leur essence propre, mais en y mêlant dans une mesure harmonieuse quelque trait nouveau, quelque idée inconnue aux âges anciens, qui, sans altérer la pureté de leur essence, la complète, et, s’il est possible, l’élève encore d’un degré dans l’idéal. Ainsi l’art n’est pas condamné à l’immobilité de la perfection classique ; il doit s’en inspirer, s’y appuyer pour s’élever plus haut. La poésie elle-même est soumise à la loi du progrès. Tel me paraît être le sens profond de cet admirable symbole, esthétique et métaphysique à la fois, des mères, ces déesses qui défendent contre le temps, contre l’oubli et la profanation, pire que l’oubli, la divine immortalité des types, et qui les tiennent en réserve pour les grands artistes, capables, en les conservant, de les transformer.
Armé de la clef magique devant laquelle s’ouvrent les mondes enchantés de l’art, Faust est revenu de son voyage au royaume des mères, ramenant avec lui Pâris et Hélène. La scène est rapide : ce n’est encore qu’une évocation de types ; la vie ne leur a pas été rendue, ils n’en ont que l’illusion et l’apparence. — Pâris se montre le premier ; au son d’une musique voluptueuse, il prend différentes poses, celles qu’ont immortalisées les marbres antiques. Parmi les spectateurs, les hommes le maudissent et le raillent ; les femmes, enthousiastes, dépeignent les charmes de cette éternelle jeunesse qui les remplit d’amour. Pâris s’endort, Hélène paraît ; elle s’approche de Pâris endormi et dépose un baiser sur ses lèvres, elle s’éloigne, puis le regarde encore. Alors surtout elle paraît ravissante. Les hommes, enflammés de désirs, célèbrent avec ivresse ses louanges ; les femmes, pleines d’envie et de haine, l’accablent de leurs critiques. Faust lui-même ne se contient plus ; en voyant cette beauté divine, il oublie le temps, le lieu, la situation, et Méphistophélès à chaque instant est obligé de lui rappeler qu’il sort de son rôle. — Pâris et Hélène semblent être entraînés l’un vers l’autre par une force irrésistible. Pâris la prend dans ses bras comme pour la ravir. Faust, dans une sorte de délire jaloux, tourne contre lui la clef qu’il tient encore à la main ; mais alors une violente explosion se fait entendre, les apparitions magiques s’en vont en fumée, Faust tombe à terre foudroyé[1].
Nous le retrouvons au second acte étendu sur son lit, dans son ancienne chambre, étroite, aux voûtes en ogive. « Reste là, couché,
- ↑ Voyez les analyses de ces différentes scènes dans les Conversations d’Eckermann. Ces analyses, écrites sous l’impression immédiate de la lecture et des entretiens de Goethe, mettent en lumière les intentions du poète.