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les mères ne voient que les schèmes, c’est-à-dire les images les plus parfaites, les figures idéales. Selon Eckermann, Goethe voudrait nous faire entendre que tous les êtres qui cessent de respirer retournent vers les mères à titre d’essences spirituelles, et qu’ils restent là sous cette forme immatérielle jusqu’à ce que l’occasion se présente pour eux de reparaître dans un nouvel être. Ce ne serait là qu’une doctrine assez vulgaire de métempsycose, fort éloignée de la vraie pensée de Goethe. Cette immortalité métaphysique confiée à la garde redoutable des mères n’admet que les essences supérieures, dignes d’être conservées parce qu’elles méritent d’être considérées comme des types. Le reste pérît et se dissout dans les élémens. Goethe le dit assez clairement, vers la fin du troisième acte, par la bouche des suivantes d’Hélène. Quand leur reine est de nouveau entraînée par la fatalité dans l’Hadès, ses suivantes sont retenues sur la terre. La nature vivante, éternelle, réclame son droit sur elles. Elles deviennent « les soupirs tremblans du zéphir et les vagues murmures des rameaux, les méandres des ruisseaux. » — « Qui ne s’est pas fait un nom sur la terre appartient aux élémens. » — Elles cessent d’être des personnes, elle se confondent avec la verdure des bois, avec la limpidité des eaux, avec la lumière. Ce qui ne mérite pas de survivre comme type se dissipe dans les phénomènes de la nature. Les types seuls sont immortels. Hélène subsistera éternellement ; elle échappe à la loi de la dispersion parce qu’elle a réuni en elle tous les traits qui donnent à une figure l’idéal, à un nom l’immortalité. — Les mères sont les gardiennes éternelles de ce trésor des types. Elles en interdisent l’accès aux profanes, elles ne le permettent qu’aux initiés, aux poètes, aux artistes, qui tiennent à la main la clef magique de Faust, l’inspiration. Parmi les mères, les unes sont assises : c’est le passé devenu immobile jusqu’à ce qu’il soit de nouveau entraîné dans le tourbillon de la vie. Les autres sont debout : c’est le présent dans l’attitude intermédiaire qui lui convient entre le passé et l’avenir. D’autres enfin marchent : c’est le mouvement vers ce qui n’est pas encore. Aucun type n’est d’ailleurs condamné à un repos éternel ; la loi de la transformation universelle agit même sur ces essences qui semblent à tout jamais fixées dans leur perfection relative. Le repos absolu n’existe nulle part, pas plus dans cette région des types que dans la nature vivante. Jusque-là pénètre la métamorphose, le progrès ; les types peuvent revivre, ils revivent en effet, soit dans le monde réel, où la puissance créatrice les produit de nouveau à la lumière du jour, soit dans l’art, où l’évocation du poète leur rend une vie idéale. Hélène en est une preuve éclatante : elle a vécu une seconde