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bière comme un mort, fut porté dans une église par une troupe de lansquenets qui, après avoir prononcé son oraison funèbre toute remplie de facéties et d’obscénités, alla achever dans son palais même la cérémonie dérisoire de ses funérailles par un repas où elle s’enivra de son vin. Elle mena ensuite le cardinal, tiré de sa bière et mis en croupe d’un lansquenet, dans les divers quartiers de la ville, afin qu’il y trouvât l’argent exigé pour sa délivrance[1]. Les autres prélats romains étaient promenés avec leurs habits ecclésiastiques sur des ânes par les luthériens allemands, qui s’affublaient eux-mêmes de chapes et de chasubles prises dans les sacristies, et, à la grande indignation des Espagnols, contrefaisaient en se moquant les cérémonies catholiques.

Dans ce long pillage, les soldats de chaque pays se comportèrent, dit-on, suivant les habitudes de leur race : les Espagnols se montrèrent avares et cruels, les Allemands avides et emportés, les Italiens cupides et raffinés. Les Espagnols ne se lassaient pas de prendre, et souvent ils torturaient leurs prisonniers pour leur arracher des sommes plus fortes. Après les premiers emportemens, les lansquenets devenaient moins impitoyables ; ils épargnaient les femmes et les jeunes filles, qu’ils protégeaient même contre les licencieuses violences des Espagnols et des Italiens. Tandis que les Espagnols cachaient avec soin et conservaient avec avarice leur part de ce riche butin, les Allemands étalaient la leur et la dissipaient comme ils l’avaient prise. Arrivés devant Rome les vêtemens en lambeaux, sans chaussure, dénués de tout, ils étaient couverts d’étoffes de brocart, de pièces de soie, portaient autour de leur cou et sur leur poitrine des chaînes d’or, s’en allaient par les rues montés sur les mules du pape et des cardinaux et passaient à boire et à manger tout le temps qu’ils ne mettaient pas à piller[2].

Dans l’attaque et dans le sac de Rome, il avait péri près de 4,000 personnes. Les blessés, sans assistance, succombaient dans les rues, où les morts gisaient sans être ensevelis et infectaient l’air. L’état dangereux de la ville empêcha qu’on y portât des vivres, et la disette suivit bientôt le pillage. La peste même ne tarda pas à sortir de la disette et du meurtre, et elle n’épargna pas plus les impériaux que les Romains[3]. Un Français, témoin oculaire de ce grand désastre[4], et qui s’était réfugié chez un évêque espagnol de ses amis, quitta son asile après que le désordre et les violences du sac semblèrent calmés, et il décrit ainsi l’état dans lequel huit jours de meurtres et de ravages avaient mis Rome. « Je sortis,

  1. Il Sacco di Roma, da Guicciardini, p. 226, 227, et da Jacopo Buonaparte, p. 206.
  2. Il Sacco, da Guicciardini, p. 236-237. — Grolier, p. 91.
  3. Grolier, p. 101-103. — Sacco di Roma, da Jacopo Buonaparte, p. 216-220.
  4. Grolier, qui en a donné le récit dans Historia expygnatœ et direptœ urbis Romiœ,