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lettres de l’empereur, qui prescrivait d’exécuter ce qui serait conclu entre le pape et le vice-roi de Naples conformément à ses intentions et pour le plus grand avantage de ses affaires, laissa voir son orgueilleux mécontentement. Il s’emporta, déclara qu’il renoncerait au commandement d’une armée qu’on entravait à ce point, menaça de ne plus servir l’empereur, prononça les plus étranges paroles, et finit par dire à Feramosca que, s’il voulait faire observer cet accord, il eût à persuader l’armée de la nécessité de s’y soumettre.

Feramosca l’essaya. Il parla à tous les capitaines réunis de l’utilité de la trêve qui venait d’être convenue ; il les entretint des obstacles que rencontreraient les troupes, des dangers et des revers auxquels elles seraient exposées, si, sans vivres, sans argent, avec peu de canons, elles s’engageaient à travers des pays pauvres et âpres, et allaient se heurter contre des villes fermées et bien défendues. Il demanda qu’ils fissent accepter par leurs compagnies respectives une paix dont il leur expliqua les raisons et leur développa les avantages pour l’empereur, aux volontés duquel ils étaient d’ailleurs tenus d’obéir. Comme l’avait prévu le duc de Bourbon, l’armée ne se laissa pas gagner et ne souscrivit point à la paix. Elle voulait marcher, se battre, piller. Les soldats, furieux contre Feramosca, le cherchèrent pour le tuer, et si, averti à temps du péril, il ne s’était pas enfui sur un cheval que lui donna Ferdinand de Gonzague, il aurait péri sous leurs coups[1]. Alors le duc de Bourbon, tenant moins de compte des desseins de l’empereur que des passions de l’armée, interrogea les Espagnols et les lansquenets sur ce qu’ils voulaient faire. « Nous désirons, répondirent-ils, aller en avant. — Et moi, ajouta-t-il, j’irai avec vous. » Il fut décidé que l’armée se mettrait en mouvement le lendemain. Le marquis del Guasto, qui avait tout tenté pour l’arrêter, se refusait à la suivre. Le duc de Bourbon le pressa vivement de rester à la tête des Espagnols, dont il était capitaine-général. « N’avez-vous pas, lui dit-il, ordre de l’empereur de faire ce que je prescrirai ? Eh bien ! je vous l’ordonnerai par écrit. — Il est vrai, répondit le marquis ; mais, comme je sais que vous n’accomplissez pas ce que l’empereur vous ordonne, je ne dois pas non plus vous obéir contre ses ordres. » Il se démit de son commandement et se retira à Ferrare.

  1. « Ils me conseillèrent de sortir de San-Juan… Je pris un cheval de Fernando de Gonzaga et je partis d’abord ; après mon départ, ils vinrent en troupe, me cherchant par toute la maison de Bourbon. » Lettre de Feramosca, du 4 avril, p. 232.