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une sorte de base isotherme s’étend, on a lieu de le croire, de l’équateur aux pôles. Et pourtant ce lit de la mer, si bien défendu contre les agens extérieurs, qui altèrent tout le reste à la surface du globe, n’est point lui-même à l’abri de certaines modifications successives. La neige de dépouilles vivantes qui tombe sans cesse de la surface y forme lentement des couches nouvelles. Les mêmes actions géologiques qui pendant la nuit des âges ont amoncelé les bancs de coquilles, déposé les masses de craie et construit les îles de corail, se poursuivent au sein de ces mornes solitudes. Le lit des mers profondes continue à se couvrir d’un manteau d’organismes détruits. Telles sont les données certaines que la sonde, à défaut de l’œil du plongeur, a rapportées dans ces derniers temps des grands abîmes d’eau. Nos continens modernes ont été autrefois le lit de la mer ; nos mers seront-elles un jour le sol des continens futurs ? Plusieurs géologues anglais n’en doutent nullement ; mais il aura suffi d’indiquer ici les faits positifs qui se rapportent à la géographie physique de l’océan. L’établissement des télégraphes électriques, en rendant nécessaires les vastes travaux d’exploration sous-marine, a beaucoup contribué à étendre sous ce rapport l’horizon des connaissances humaines[1].

Le besoin de savoir est le grand trait qui distingue les sociétés modernes. La mer n’a point d’abîmes, les rochers n’ont point de cavernes, les eaux n’ont point de ténèbres qui échappent aujourd’hui à l’intrépide curiosité de l’homme. Le plongeur tient un noble rang dans cette armée de chercheurs. La tête sous le casque, équipé de pied en cap contre les élémens, ce chevalier errant des mers ouvre à la science le chemin des aventures de l’esprit. Il est bien vrai que l’industrie et la cupidité, plus encore que le désir de s’instruire, l’attirent au fond de l’océan ; mais n’en a-t-il pas toujours été ainsi ? Même en croyant n’obéir qu’à ses intérêts, l’homme poursuit encore l’inconnu. Les anciens baleiniers ne sont-ils point les premiers qui aient appelé l’attention des savans sur la géographie des pôles et des mers de glace ? Et ces aventuriers qui à la suite de Colomb se sont élancés sur l’Atlantique ne voulaient-ils point aussi saisir l’ombre d’une proie dans les terres flottantes à la surface des vagues ? Ils cherchaient de l’or, et ils trouvèrent un monde.


ALPHONSE ESQUIROS.

  1. C’est ainsi que vers 1850, lorsqu’il fut question de jeter un câble télégraphique entre Newfoundland et l’Irlande, les études préalables firent découvrir une ligne de cendres et de débris volcaniques s’étendant au fond de la mer sur une longueur de mille milles.