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comme une colonne creuse, il voyait distinctement sous ses pieds à quelque distance des poissons et d’autres animaux marins ; mais il avait grand soin de ne pas les effrayer. Plus d’une fois, lorsque la cloche remontait à la surface et qu’une légère vapeur tiède couvrait d’un nuage les verres de sa prison, il cherchait du regard la belle dame de la mer, car il aurait bien voulu la revoir. Elle ne se remontra jamais. Cependant tout continuait à prospérer ; sa femme et ses enfans commençaient à croire qu’il avait de la peau de phoque séchée sous ses vêtemens et que cela lui portait bonheur. Il n’avait pas en effet osé leur parler de cette maîtresse aux yeux vert-de-mer qui veillait sur lui. Un jour pourtant, il travailla plusieurs heures de suite sans rien trouver ; une houle profonde troublait la lumière dans l’intérieur de la cloche, et l’empêchait de distinguer les objets. Comme il revenait chez lui de mauvaise humeur, il rencontra un affreux polype que le mouvement du reflux venait de laisser sur le sable. Jack l’écrasa du pied et s’en alla manger sa soupe. Le lendemain, pendant qu’il était redescendu au fond de la mer, quelle fut sa terreur en apercevant à travers les parois de la cloche, non plus l’attrayante figure de la sirène, mais un monstrueux requin ! L’animal s’approcha jusqu’au-dessus de la tête du plongeur et lui dit : « Tu m’as désobéi, donc tu mourras. » En effet, quelques jours après, un accident survint dans la machine, et Jack fut noyé.

Quoique la diving-bell rende encore de grands services, elle a été détrônée dans ces dernières années par une autre invention. On ne l’emploie plus guère aujourd’hui que dans les travaux sédentaires. Pour ceux qui demandent au contraire de la part des ouvriers du mouvement et de la liberté d’action, on lui préfère de beaucoup le diving-apparatus. J’appris alors qu’il existait à Whitstable, sur les bords de la Tamise, une colonie de plongeurs qui opéraient selon la nouvelle méthode. Aussi, dès que j’eus pris congé des ouvriers du Break-water à Plymouth, je me promis bien de visiter, l’occasion aidant, un tout autre chantier de travaux sous-marins.


II

L’année dernière (1865), je me rendis de Canterbury à Whitstable par un petit chemin, de fer à une seule paire de rails sur lesquels court clopin-clopant une vieille locomotive boiteuse et poussive. Le village de Whitstable n’a par lui-même rien de très curieux. Le grand événement était ce jour-là un orgue de Barbarie et un tambour qui parcouraient les rues avec un singe. En amont de ce village de brique s’étend vers la Tamise un village de bois qui porte