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eux-mêmes « un mal de dent passé dans les oreilles, » leur tête bourdonne quelquefois « comme si l’on y avait lâché un essaim d’abeilles ; » mais ces symptômes fâcheux s’évanouissent après la seconde ou la troisième descente. Leur confiance dans cette chambre sèche au milieu de toutes les cataractes de l’océan tient quelquefois de la témérité. En 1820, le docteur Colladon, de Genève, étant descendu dans une cloche à plongeur sur les côtes de l’Irlande, songea en lui-même qu’à la profondeur où il se trouvait il eût suffi d’une pierre ou de toute autre cause venant à obstruer l’action de la soupape pour que la cellule fût à l’instant même envahie par les eaux. Il confia cette réflexion peu rassurante à l’un des plongeurs qui l’accompagnaient, et qui pour toute réponse lui désigna du doigt en souriant un des verres qui se trouvaient au-dessus de leur tête. Le docteur l’examina avec attention et reconnut en effet que la glace était assez fêlée pour laisser échapper des bulles d’air. C’était bien un autre sujet d’inquiétude que l’accident assez improbable de l’obstruction de la soupape ; le plongeur le savait et ne s’en émouvait nullement.

Le surveillant des travaux m’avertit que la cloche venait de toucher le fond de la mer. Les plongeurs étaient maintenant séparés du reste du monde par le Grand-Océan roulant au-dessus de leurs têtes, et pourtant ils communiquaient avec la surface et leurs semblables au moyen de signaux. Ils se servent en ce cas d’un marteau le plus souvent suspendu par une corde au dôme de la cloche et qui joue un grand rôle dans le langage mystérieux des rapports sous-marins. Aucun bruit n’arrive de la surface aux oreilles des plongeurs ; mais les sons montent au contraire distinctement du fond de la diving-bell jusqu’à ceux qui sont chargés de les recueillir à l’air libre. Un sens particulier s’attache au nombre de coups portés par le marteau contre les parois retentissantes de la cloche[1]. Pour celui qui n’y est point accoutumé, cet ébranlement communiqué à un aussi frêle rempart contre une aussi grande ennemie que la mer a quelque chose d’alarmant ; mais les plongeurs ne s’inquiètent guère pour si peu, les nerfs de ces hommes forts ne tremblent point dans leur maison tremblante. On se sert encore d’autres signaux, par exemple de petites bouées qu’on envoie à la surface.

  1. Un seul coup veut dire : « Plus d’air ! » ou « Pompez plus fort ; » deux coups signifient : « Tenez ferme ; » trois coups : « Hissez ; » quatre coups : « Abaissez, » etc. Qui ne reconnaît qu’un système a présidé à la formation de cette langue télégraphique ? Les ordres qu’on a besoin de renouveler le plus souvent sont ceux qui se transmettent par un moindre nombre de coups. N’en est-il pas ainsi dans les idiomes parlés, où généralement on désigne les objets de première nécessité par un monosyllabe : pain, eau, air, etc. ?