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suivre au fond de la mer, grâce aux explications que me donnèrent les plongeurs demeurés à bord.

Comment ces hommes respirent-ils sous l’eau ? Telle est la première question qu’il est naturel de s’adresser. Au centre du plafond de la cloche s’ouvre un trou par lequel arrive la provision d’air. Le fluide respirable est fourni par un tuyau de cuir dont l’extrémité s’attache à une pompe à air que quatre hommes mettent en mouvement. Cette pompe fonctionne sur l’échafaudage qui domine la mer, et le tuyau de cuir qui s’allonge successivement ressemble à un boa constrictor dénouant ses anneaux. La soupape placée à l’intérieur de la cloche, étant un des organes essentiels de la machine, a été protégée avec soin contre toutes les chances d’accidens. Le contre-maître m’assura que l’air ne manquait pas aux plongeurs, non plus que la lumière. Une douzaine de lentilles convexes, ayant chacune huit ou neuf pouces de diamètre et solidement insérées dans des cercles de cuivre, reçoivent les rayons du soleil engloutis sous l’eau. Dans certains cas, ces espèces d’œils-de-bœuf sont défendus extérieurement par un treillis de fer contre les chocs qui pourraient résulter dans la mer de la rencontre avec les rochers ou avec d’autres corps solides. La lumière qui descend ainsi dans l’intérieur de la cloche varie d’ailleurs beaucoup de couleur et d’intensité suivant les profondeurs et suivant l’état de l’océan. Dans les endroits où l’eau est troublée par le sable, le plongeur traverse quelquefois une sorte de crépuscule ou de brouillard sous-marin, qui le force d’allumer sa lampe. Le plus souvent au contraire cette clarté est assez vive pour qu’on puisse lire un journal imprimé en petit texte. On cite même l’histoire d’une lady qui écrivit une lettre et la data ainsi : « 16 juin 18.., du fond de la mer. » Son courage lui valut parmi les plongeurs le surnom de Diving-belle[1].

Je voulus aussi me rassurer sur le sort des pauvres ouvriers que j’avais vus descendre dans la cloche, et le contre-maître soutint qu’ils y jouissaient de toute sorte de bien-être, they enjoy every comfort. N’ont-ils pas des sièges pour se reposer, un rebord en bois pour appuyer leurs pieds, un assortiment d’outils et d’ustensiles suspendus à une corde ou accrochés aux gros murs en fonte de cette hutte aussi bien pourvue que celle de Robinson Crusoé ? De tout cela je dus conclure que si ce surveillant n’y mettait point un peu d’ironie, les plongeurs dans la diving-bell sont bien chez eux. Le fait est qu’ils y passent une grande partie de leur existence. Ils souffrent presque tous dans les premiers temps d’une forte douleur qu’ils définissent

  1. Il est aisé de saisir le sens de ce jeu de mots : la belle plongeuse, au lieu de la cloche à plongeur.