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Toujours est-il que dès la première réunion des assemblées il s’est élevé, notamment à Pétersbourg, des plaintes, des critiques nombreuses, dont M. Platonof et M. Kruse, un ancien censeur libéral de Moscou, se sont faits les organes. Ces plaintes ont porté principalement sur les comités exécutifs, sur les attributions restreintes, mal définies, des nouveaux conseils, et comme il y a une logique dans les situations on est arrivé tout de suite au vif ; on en est venu, non plus à demander une représentation politique, comme dans l’assemblée de Moscou, — on ne l’aurait plus osé, — mais à indiquer avec timidité l’établissement d’une « assemblée économique centrale » comme le couronnement nécessaire des institutions récemment créées, et le comte Schouvalof lui-même se prononçait dans ce sens. « J’avoue, disait-il, que je regarde comme tout à fait inadmissible que les assemblées provinciales particulières soient comme autant d’oasis, de cercles magiques dans lesquels fleuriraient la vérité, la liberté de la parole, l’indépendance et l’ordre dans les affaires, tandis que tout autour continuerait à régner notre vieil ennemi l’arbitraire administratif. » Il se peut que des modifications surviennent, et on en a même attribué déjà la pensée à M. Milutine ; mais elles tendraient plutôt à limiter encore l’influence de la grande propriété en fortifiant l’élément rural et démocratique.

Réunissez ce redoutable penchant à jouer autocratiquement avec tout ce qui est propriété et ce patriotisme exclusif, haineux, où l’esprit de domination éclipse toute idée de droit, vous aurez le dernier mot, le mot le plus récent de cette politique, qui a son principal théâtre dans les provinces polonaises : c’est cet oukase du 22 décembre 1865 qui met le droit de propriété en interdit dans les neuf gouvernemens occidentaux, en Lithuanie et en Ruthénie. « Maintenant ou jamais ! » s’est écrié le parti ultra-moscovite. — Maintenant ou jamais il faut en finir pour que cela ne recommence plus. Si la Russie ne profite pas des circonstances actuelles, elle n’a plus qu’à s’avouer définitivement vaincue. Puisque les répressions à main armée ne peuvent étouffer le polonisme dans le sang et que les confiscations elles-mêmes sont un expédient inefficace, il n’y a qu’un moyen : si les Polonais ne veulent pas devenir Russes, qu’ils s’en aillent ! — C’est la thèse développée depuis plus de six mois par le parti ultra-moscovite, comme pour préparer le terrain. « Songez-y, messieurs, ne cessait de dire le successeur de Mouraviev en Lithuanie, le général Kauffmann, aux gentilshommes polonais ; rappelez-vous bien que, si vous ne devenez pas Russes de pensées et de sentimens, vous ne serez que des étrangers dans ce pays qu’il vous faudra quitter à la fin. » Et M. Katkof à son tour, amplifiant selon son habitude, dépassant tout le monde, élevait cette dangereuse suggestion à la hauteur d’une théorie fondée sur l’intérêt