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Golokhvastof déchirait tous les voiles et exhalait ce que la noblesse avait sur le cœur :


« Je voudrais, disait-il, que la Russie s’ouvrît à l’empereur, et nous ne sommes pas les seuls à en sentir la nécessité. Le droit de propriété est attaqué dans sa racine ; or sans le droit de propriété la société entière ne peut exister. Nous avons des lois, et de bonnes lois ; mais j’aimerais mieux les savoir médiocres et pouvoir compter sur leur stabilité, car chez nous le bon plaisir d’un personnage administratif révoque des lois entières… Les réformes se succèdent, mais elles portent toutes l’empreinte de ce cachet que leur apposent les bureaux des ministères pétersbourgeois ! .. L’empereur nous donne des réformes magnifiques dignes de son nom glorieux ; mais la réalisation n’en est pas telle qu’il l’aurait désirée… Il faut lui dire : « Tout ce que vous avez entrepris, sire, est resté lettre morte ; tout est entravé par la camarilla qui dénature vos paroles et les lois. » Il faut prier l’empereur d’écarter la camarilla et de se mettre face à face avec son peuple. C’est le peuple qui connaît les besoins du pays, non pas les bureaux des ministères. L’empereur doit savoir nos besoins, et il n’y a que le peuple qui les lui apprendra… Il faut que les paroles de l’empereur puissent arriver jusqu’à nous, et que nos paroles puissent monter jusqu’à lui. Cela fera disparaître le mal, et la loi retrouvera sa force. La réalisation pratique de ce désir serait la convocation des élus du pays. Voilà le moyen qu’il faut employer pour guérir nos maux… »


Et en effet la conclusion fut le vote d’une adresse qui, après un acte de foi ultra-russe à l’unification de l’empire par l’abolition de toutes les autonomies, après une offre de concours à l’œuvre de régénération entreprise par l’empereur, disait : « Couronnez, sire, l’édifice politique dont vous avez posé la base en convoquant une assemblée générale des élus du pays russe pour délibérer sur les besoins communs de l’empire ; ordonnez à votre fidèle noblesse de choisir pour le même objet, dans ses rangs, les hommes les meilleurs… Par cette voie, sire, vous connaîtrez les besoins de notre patrie, vous rétablirez la confiance dans les autorités exécutives…, les ennemis extérieurs et intérieurs seront réduits au silence alors que le peuple, dans la personne de ses représentans, entourera le trône avec amour, et veillera à ce que la trahison n’arrive jusqu’à lui d’aucun côté… » Malheureuse adresse ! malheureuse campagne, qui avait le tort de réveiller tous les ombrages de l’empereur contre les prétentions parlementaires de la noblesse, et de s’attaquer, surtout par ce mot de trahison, à des influences qu’elle fortifiait plus qu’elle ne les ébranlait ! La réponse fut prompte, et d’abord on commença par destituer le gouverneur de Moscou, le général Afrosimof, qui s’était conduit en bonhomme et sans malice dans cette affaire ; puis, sous prétexte d’un vice de forme, on annulait tout ce qu’avait fait l’assemblée, et enfin l’empereur Alexandre II