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repoussa de nouveau. Tous ensemble ils poursuivirent les soldats en criant aux armes ! aux armes ! et donnèrent le signal de l’insurrection au reste de la ville[1]. Antonio de Leyva, qui occupait la Corte, palais où se rendait la justice, alarmé de ce mouvement populaire, se retira précipitamment au milieu des lansquenets placés autour du château. Les habitans soulevés s’armèrent de piques, de mousquets, de haches, de tous les instrumens qui se trouvèrent sous leurs mains[2]. Au bruit de toutes les cloches des églises, ils parcoururent en armes les rues de Milan, s’emparèrent de la Corte, qu’avait abandonnée Antonio de Leyva, prirent le clocher du Domo, dont ils chassèrent la garde et dont ils mirent en branle la grosse cloche. À ce signal, les assiégés de la citadelle firent une sortie contre les lansquenets éperdus, qui ne savaient plus à qui faire tête et qui abandonnèrent leur position. Ils passèrent le pont et allèrent se concentrer derrière San-Jacobo vers San-Silvestro, où ils se fortifièrent du mieux qu’ils purent, avec des charrettes, des tonneaux, des ouvrages en terre et des bastions élevés à la hâte[3].

La ville insurgée trouva un chef plein de courage et d’habileté dans un gentilhomme milanais nommé Pietro de Pusterla. Le généreux messer Pietro de Pusterla, comme l’appelle la chronique du Burigozzo, qui assistait à ces événemens et les racontait jour par jour, tint durant près de deux mois ses compatriotes unis entre eux, rangés sous des capitaines et maîtres de leur ville ; mais vers le milieu de juin[4], lorsque les troupes pontificales se concentraient vers Plaisance et les troupes vénitiennes du côté de Brescia, le marquis del Guasto et Antonio de Leyva comprirent qu’ils ne pouvaient pas laisser sans un très grand danger les Milanais en armes dans un moment où ils étaient exposés à une agression imminente. Ils avaient repris l’investissement du château, et ils résolurent de désarmer la ville afin de n’avoir point à craindre qu’elle secondât les soldats de la ligue, s’ils s’approchaient de ses murailles. Ils firent donc entrer dans Milan, le 17 juin, les lansquenets sortis de leur camp retranché et les Espagnols appelés du dehors. Ces troupes réunies étaient trop nombreuses et trop bien armées pour ne pas triompher de citadins redoutables dans un moment d’effervescence populaire, mais incapables, avec de mauvaises armes, sans discipline, et sous le coup d’une surprise, de repousser une attaque concertée, conduite avec décision et en

  1. Storia, etc. Le Burigozzo était présent à tous les événemens qu’il raconte.
  2. « Se levò un cridar per la cittá dicendo : all’ arma ! all’ arma ! E a questo cridar se molse gran gente, all’ arma chi con sgiopi, chi con lanze, chi con una cosa, chi con un’ altra. » Ibid., p. 452.
  3. Ibid., p. 452.
  4. Ibid., p. 452, 453.