Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/294

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restés les serviteurs du tsar. Tant que l’insurrection polonaise n’avait pas dit son dernier mot, ils ne pouvaient que se taire : c’était le moment où le grand-duc Constantin, littéralement dénoncé chaque jour par M. Katkof, était obligé de quitter Pologne et Russie et d’aller porter en Allemagne une amertume qu’il ne cachait pas plus au reste que sa désapprobation du système qu’on suivait. Bientôt cependant, quand l’insurrection n’est plus qu’un feu éteint et que du côté de l’Europe rien n’est plus à craindre depuis longtemps, une pensée de modération semble se relever vaguement, et alors s’ouvre une série de tentatives, — qui vont, il est vrai, aboutir périodiquement à des défaites.

Une première fois, c’est au mois de mai 1864. On commence à respirer et à se demander s’il n’est pas temps de s’arrêter, si la conciliation n’est pas le meilleur moyen d’achever la victoire ; on ne craint plus d’élever des doutes sur l’efficacité d’une politique violente survivant à la lutte, — si bien qu’un jour Mouraviev est mandé tout à coup à Pétersbourg. Pourquoi ? Il y avait eu un léger ébranlement. Le parti ultra-russe sentit le danger et mit tout en œuvre pour le détourner par ses manifestations. Le voyage de Mouraviev, au lieu d’être le commencement d’une disgrâce, devint un triomphe pour lui ; à chaque station, des troupes et des députations de paysans étaient apostées pour le saluer. À la gare de Pétersbourg, il était attendu par une multitude de personnages, ceux des ministres qui étaient ses amis, des généraux, des officiers des régimens de Preobrazenski, d’Ismaïlov et de Gatchina, des employés de ministères, même des dames. Tous voulaient voir Michel Nicolaievitch, comme on disait familièrement. Mouraviev était malade, on se précipita vers son wagon. Assis dans un fauteuil sur le perron, il harangua la foule d’une voix faible, puis on le prit et on le porta jusqu’à sa voiture au milieu de cris enthousiastes. Au seuil de sa maison l’attendaient le poète Tuschef, le général Potapof et bien d’autres ; quelques instans après, la comtesse Bloudof arrivait, lui portant le pain et le sel. Bref, outre la scène de mœurs, c’était un coup bien monté et qui réussit en ce sens qu’il impressionna suffisamment l’empereur.

Nouvelle tentative vers le mois de juillet 186à. Cette fois c’est sur l’opinion qu’on essaie d’agir par une brochure, — Que fera-t-on de la Pologne ? — publiée à Bruxelles sous le nom de Schedo Ferroti, et qui a été tout un événement en Russie. Sous ce pseudonyme de Schedo Ferroti se déguisait sans se cacher un Courlandais d’origine, c’est-à-dire un sujet russe, représentant du ministre des finances de Pétersbourg à Bruxelles, le baron von Firks. Cette brochure, calculée avec soin, mesurée d’esprit et de forme,