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c’est lui qui, écartant tous ces subterfuges, soutenait la légalité, du recrutement et de tout ce qu’on ferait, qui prêchait la guerre sainte, non plus une guerre de principes politiques, une guerre de nation à nation, où l’une des deux devait rester. Lorsque le monde russe en était à hésiter sur le nom de Mouraviev, qui n’était la veille que le nom d’un ancien ministre décrié, c’est lui qui le poussait, le popularisait et faisait du dictateur de Wilna un héros, un saint, un homme d’état dont la Russie se souviendrait éternellement. C’est lui enfin qui déroulait chaque jour tout un plan de mesures énergiques, pacificatrices, comme la meilleure réponse à l’Europe en travail d’une intervention diplomatique. Une fois dans cette voie, il ne s’est plus arrêté ; il y a porté un talent supérieur sans doute, fortement nourri, mais inégal, prolixe, verbeux dans l’invective, dénué de tout scrupule, un tempérament violent sous des dehors presque doux et effacés. C’est en effet un des traits de cette figure de publiciste russe : avec une apparence terne, des cheveux d’un blond clair, des yeux bleus presque blancs, un extérieur modeste et pensif, M. Katkof a des passions implacables, une nature très absolue et très soupçonneuse, une opiniâtreté que la contradiction irrite et met hors d’elle-même, des haines qui ne reculent devant rien, pas même devant la délation, quand il s’agit d’atteindre ses adversaires. Et qu’on le remarque bien, c’est moins par ses qualités que par ses emportemens et ses excès que M. Katkof a conquis son pouvoir comme écrivain dans cette période nouvelle qui date de l’insurrection polonaise.

Ce pouvoir a été réellement immense. Il s’est exercé sur les autres journaux, qui ont été obligés de suivre l’impulsion, au moins dans les affaires de Pologne, — sur l’opinion, que le rédacteur de la Gazette de Moscou passionnait par ses polémiques, — sur le gouvernement, qu’il a embarrassé quelquefois et plus souvent entraîné. Il y a eu un moment où M. Katkof a été l’oracle russe, où il a eu, lui aussi, sa part de toasts patriotiques, d’ovations. Lorsque la noblesse de Moscou se réunissait l’an dernier, son premier acte était une souscription en l’honneur du publiciste, du grand citoyen. « M. Katkof, disait un des principaux membres, a rendu deux services qui resteront toujours dans notre mémoire : il a écrasé la tête du serpent qui empoisonnait le cœur de notre jeunesse, il a brisé l’autorité d’Hertzen, et vous savez que c’est là pour nous un service inappréciable, surtout pour nos plus jeunes camarades qui ne s’occupaient que trop des publications de Londres. Le second service que M. Katkof continue à rendre jusqu’à présent, ce sont ses efforts pour fortifier l’unité de la Russie. La mémoire de cet homme doit rester impérissable… » Par le fait, dans ces luttes si étranges et si nouvelles