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LA RUSSIE
SOUS
L'EMPEREUR ALEXANDRE II

LA SOCIETE ET LE GOUVERNEMENT RUSSES DEPUIS L'INSURRECTION POLONAISE.

Une logique singulière conduit les affaires du monde. Parce qu’il y a deux ans, au nord de l’Europe, un peuple qui s’était raidi dans une convulsion d’héroïsme, dans un effort désespéré pour son indépendance, est retombé foudroyé et palpitant sur le sol, on a pu croire, on a pu dire que ce n’était qu’une insurrection de plus abattue et domptée, une crise semblable à tant d’autres crises circonscrites et dominées par la force, un épisode de répression passagère dans le vaste mouvement où se débat la Russie depuis la mort de l’empereur Nicolas. L’insurrection polonaise, cette insurrection qui n’est plus que de l’histoire, a eu dans sa défaite un bien autre caractère et de bien autres résultats. Par sa nature, elle dépassait les limites du champ de bataille où elle s’est agitée ; morte, elle se survit par l’ébranlement qu’elle a imprimé, par les suites qu’elle a encore aujourd’hui. Elle est devenue le point de départ de tout un ordre de phénomènes moraux et politiques pour l’Europe et pour la Russie elle-même : pour l’Europe, qu’elle a laissée dans cet état de malaise et d’embarras, fruit d’une intervention diplomatique mal conçue allant aboutir à un aveu d’impuissance collective ; pour la Russie, dont elle a surexcité et troublé les instincts en venant la surprendre dans les perplexités d’une laborieuse transformation intérieure.