Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/272

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sons éphémères, la coquetterie était tout, le cœur n’était rien. Il fut aussi pour bien peu de chose dans l’amour ou pour mieux dire dans le commerce galant de la marquise et du président Hénault. Ce commerce, qui dura près de trente années, fut toujours dépourvu d’entraînement et de poésie. Et cependant le docte et brillant magistrat, si bien connu depuis la publication de ses mémoires, était par excellence ce qu’on appelle un homme aimable. Bienveillant par instinct et surtout par calcul, ne recherchant que les impressions agréables et se gardant d’approfondir les choses de peur de s’attrister, dominé avant tout par le désir de plaire, courtisan de toutes les grandeurs et de toutes les renommées, passionné à la surface, indifférent au fond du cœur, incapable de dévouemens et de sacrifices, le président Hénault réalisait le type idéal de la vie du monde. C’était un adorateur du succès. Favori de la reine Marie Leczinska et surintendant de sa maison, il n’en courtisait pas moins l’autre reine, Mme de Pompadour, et l’appelait une Agnès Sorel. Il plaisait par ses qualités, peut-être plus encore par ses défauts. Chacun croyait lui inspirer un intérêt fort vif ; au fond, il ne se souciait de personne.

Le président Hénault avait-il les qualités morales nécessaires pour occuper et pour remplir le cœur d’une femme ? Assurément non. Il était trop banal, trop occupé de la galerie, trop habitué aux sentimens factices. Sa correspondance avec sa spirituelle amie dénote deux âmes complètement froides et desséchées. Ce sont des académiciens qui parlent, ce ne sont pas des amoureux. Jusque dans leurs protestations de tendresse, il y a quelque chose d’aigre-doux. Ils se tiennent sur la défensive contre tout ce qui pourrait ressembler à un sentiment vrai. Ces âmes raffinées et sceptiques se reprocheraient comme une preuve de mauvais goût toute pensée, toute parole qui partirait du cœur. Elles s’observent, elles s’analysent l’une l’autre ; jamais de laisser-aller ou d’abandon. Ce ne sont pas ces deux amans (si l’on peut leur donner un tel nom) qui trouveraient que « l’absence est le plus grand des maux. » La marquise constate au contraire que le président a « l’absence délicieuse. » — Le galant magistrat raconte les détails d’un excellent souper. « Je vous avoue, ajoute-t-il, qu’au sortir de là, si j’avais su où vous trouver, j’aurais été vous chercher : il faisait le plus beau temps du monde, la lune était belle, et mon jardin semblait vous demander ; mais, comme dit Polyeucte, que sert de parler de ces matières à des cœurs que Dieu n’a pas touchés ? » Quel mélange que Polyeucte et cette pointe égrillarde ! Aussi comme la marquise se moque du président ! Parler de la lune, quelle enfance ! « Eh bien ! soit, reprend le magistrat tout confus ; je vous demande pardon pour tous les ruisseaux passés, présens et à venir, pour leurs frères les oiseaux, pour leurs cousins les ormeaux et pour leurs bisaïeuls les sentimens. »

Si tels furent les rapports de ces deux beaux esprits au début de leur liaison, que devait être leur soi-disant affection quand tous les deux avaient vieilli, quand, comme le dit Grimm, le président, naturellement très timide, était resté esclave de la crainte longtemps après avoir cessé de l’être de l’amour ? « Pour ce qui est du rouge et du président, dit la marquise, je ne leur ferai pas l’honneur de les quitter. » Il faut voir sur quel ton elle parle des souffrances de son vieil ami. « Hier, écrit-elle, je traînai