qu’enfantait sa puissante organisation enivrèrent don Juan ; une ardeur toujours, entretenue fit bouillonner son sang, et le porta incessamment vers les plaisirs sensuels avec l’espoir d’y trouver une satisfaction qu’il chercha en vain. »
Qui parle ainsi ? C’est Hoffmann, le musicien, le voyant, le grand commentateur auquel on devra toujours revenir pour pénétrer dans la pensée intime du poème. Que serait en effet sans la pensée intime ce poème, et comment concevrait-on que Mozart eût écrit de pareille musique sur un motif qui, dépouillé de l’idéal entrevu, n’est autre que l’éternelle histoire de Polichinelle courant sus à toutes les jupes, décoiffant toutes les bouteilles, riant au nez de toutes les morales divines et humaines, et ne s’arrêtant que devant le commissaire ? Le commissaire ici, c’est la statue du commandeur, une force évoquée du monde surnaturel pour répondre à cette idée de conscience, d’infini qui distingue le personnage et le sépare à jamais de la brute Polichinelle vouée aux seuls appétits matériels. Il n’y a que le penseur qui sache ce que c’est que la conscience, celui qui agit presque toujours passe outre. De là tôt ou tard l’inévitable conflit qui chez don Juan en révolte contre l’ordre social se traduit par l’apparition du spectre du commandeur. Un bon vivant qui aime outre mesure le vin et les filles, qui ne pense qu’à se divertir et follement invite à sa table la statue de pierre du vieil homme qu’il a tué en défendant sa propre existence, en vérité un tel compagnon ne vaut guère la peine que se donnent les puissances infernales de monter sur la terre pour venir se l’approprier. Il ne mérite pas qu’une statue prenne une âme et descende tout exprès de son cheval de marbre dans le dessein de l’avertir de la colère du ciel. — Étrange chose pourtant que les deux plus grands chefs-d’œuvre du génie moderne aient la même origine populaire, et que Don Juan comme Faust nous viennent des marionnettes ! Il est vrai que Mozart et Goethe ont bien quelque peu développé l’anecdote, grandi les types, et par là rendu l’exécution si difficile.
Tâchons d’oublier pour un moment les morts illustres dont la tradition a définitivement subsisté : Garcia, Staudigl, Nourrit, et cherchons parmi les vivans lequel semblait le plus appelé à l’honneur d’aborder ce rôle à l’Opéra. J’ai nommé M. Faure. Il va sans dire que je me borne ici à de simples conjectures, ne voulant ni ne pouvant d’ailleurs rien préjuger, négligeant même de m’appuyer de l’argument d’un grand succès déjà obtenu à Londres. J’interroge M. Faure dans ses diverses créations, je l’étudié dans l’Alphonse de la Favorite, le Nevers des Huguenots, dans Guillaume Tell, et tout cela m’en dit assez pour que je sache qu’avec lui, quels que soient d’ailleurs les hasards et l’imprévu de la représentation, nous aurons affaire à un don Juan sérieux. Quel sera maintenant le Leporello ? Impossible de songer à ce valet d’ancienne comédie repris par Mozart, remaniant Molière cette fois avec la même aisance et la même force d’individuelle