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sollicitations et les brigues ; que le poète, l’historien, le philosophe, le critique fasse librement son œuvre en vue du bien, en vue du progrès, sous les yeux de la France, et que le choix de l’Académie soit la consécration ou le redressement de l’opinion publique. Pour nous, en attendant que ce rêve trop beau peut-être se réalise, nous garderons le culte de la sincérité, qui n’exclut pas le sentiment du respect ; aussi éloignés de la littérature obséquieuse que de la littérature insolente, nous tâcherons de maintenir la critique franche et loyale, exigeante et respectueuse, la critique dont les vrais écrivains n’ont pas peur, et qui ne veut plaire qu’aux honnêtes gens.


F. DE LAGENEVAIS.


REVUE MUSICALE.

L’Opéra prépare une imposante reprise de Don Juan. Depuis nombre d’années déjà, notre première scène lyrique semblait avoir oublié le chef-d’œuvre de Mozart et laissait chez nous aux seuls Italiens le soin d’en rappeler l’existence aux générations nouvelles. Or nous n’avons eu que trop souvent l’occasion de montrer ici même ce que valent comme ensemble ces deux ou trois représentations que donne chaque hiver le Théâtre-Italien, et dont l’intérêt pour le moment se concentre sur la Patti chantant Zerline, en attendant qu’il se porte tout entier sur Mazetto le jour où il plairait à quelque Ronconi de venir faire de ce personnage de second plan le véritable protagoniste de l’ouvrage. Il appartenait à l’Opéra de tenter une grande et sérieuse mise en lumière du chef-d’œuvre, et encore, même pour cette vaste scène si puissamment organisée et pourvue du côté de l’orchestre, des chœurs et des ressources théâtrales, fallait-il la rencontre de certaines conditions spéciales de troupe qui depuis vingt ans ne s’étaient pas offertes et qui se présentent aujourd’hui. Et d’abord, pour monter Don Juan, la première nécessité, la plus indispensable, ce semble, est d’avoir un don Juan sous la main. Il y a de ces inadvertances dramatiques qu’aux Italiens peut accepter en souriant un public habitué à se payer de quelques staccati très agréablement dégoisés, et qui, sur une scène française, tourneraient véritablement à la parodie. « Don Juan est beau, destiné à briller, à vaincre, à dominer ; la nature anima d’une organisation magnifique ce corps vigoureux et accompli ; elle fit tomber dans cette poitrine une étincelle du feu céleste ; il eut une âme profonde, une intelligence vive et rapide, mais c’est une suite effroyable de notre origine que l’ennemi de notre race ait conservé la puissance de consumer l’homme par l’homme lui-même en lui donnant la soif de ce qu’il ne peut atteindre. Ce conflit de Dieu et du démon, c’est la lutte de la vie morale et de la vie matérielle. Les désirs