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sympathie, l’abandon à l’empressement, si bien que la docte compagnie, trompée par cette curiosité banale qui ne manque chez nous à aucune solennité, croirait continuer ses beaux jours au moment où elle n’aurait plus que des séances d’athénée. C’est ce qui arriverait infailliblement si l’Académie française ne suscitait pas elle-même des candidatures en allant chercher dans leur retraite les écrivains dignes de ce titre, les hommes de pudeur délicate et de fierté honnête, au lieu de se renfermer dans le cercle de ces solliciteurs dont on ne saurait dire s’ils sont plus ambitieux que modestes ou plus modestes qu’ambitieux. Un autre danger qui se rattache à celui-ci, mais plus grave encore et plus digne d’attention, c’est l’influence funeste exercée par l’esprit académique sur la sincérité des lettres et de l’esprit français. A quelle époque vit-on plus d’écrivains subordonner toutes leurs pensées au désir de gagner une voix, à la crainte d’en perdre une autre ? Tel article de journal où vous cherchez un jugement sérieux n’est qu’une carte de visite à l’adresse des quarante. Plus de franchise, plus d’élévation ! Comment aimerait-on le vrai et le beau quand on ne songe qu’à ses petits intérêts ? Je ne reconnais pas là cette courtoisie élégante et virile qui doit régler les rapports des hommes dans les sphères de l’esprit ; ce n’est que la tactique inférieure des héros de salon.

Nous voici ramenés aux curieuses paroles qu’inspirait à Pellisson une sollicitude trop légitime pour l’avenir de l’Académie française. Il serait parfaitement inutile, nous le savons, de rien proposer à cet égard. L’Académie a ses coutumes, qu’elle considère comme une sauvegarde ; elle veut y rester absolument fidèle, c’est son droit. Il est permis pourtant de se rappeler que sa loi n’est pas conforme à sa coutume. Une délibération de l’Académie en date du jeudi 2 janvier 1721 porte ces mots : « L’Académie, pour se munir contre les brigues et les sollicitations, a jugé à propos de faire ce règlement, qui ne fait que renouveler l’ordre que le feu roi lui avait donné. Tous messieurs les académiciens promettront sur leur honneur de n’avoir aucun égard pour les sollicitations, de quelque nature qu’elles puissent être, de n’engager jamais leur parole, et de conserver leur suffrage libre pour ne le donner le jour de l’élection qu’à celui qui leur en paraîtra le plus digne. » Ce règlement, bien que les académiciens de 1721 se fussent engagés par serment à le respecter, n’a pu prévaloir contre la coutume. En vain a-t-il été renouvelé trente et un ans plus tard, le 30 mai 1752, par ordre de Louis XV ; le système des brigues et des sollicitations l’a emporté. Il n’appartient à personne de recommander l’exécution d’une loi abrogée par les mœurs ; on peut remarquer cependant que le jour où les mœurs auront changé, le jour où les membres éminens de l’Académie, seuls juges en ces matières, auront cru convenable de modifier leurs traditions sur ce point, ils trouveront un appui dans leurs règlemens d’autrefois, comme ils lisent déjà un encouragement dans les conseils de leur vieil historien. Alors aussi, nous le croyons sincèrement, l’autorité de l’Académie