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dans cette partie de son discours, avait accusé quelques autres travers de cette physionomie rare avec le même mélange de délicatesse et de vérité, s’il avait évité certains éloges discutables, pour ne rien dire de plus, qui ont le tort de provoquer la contradiction, il eût laissé du poète des Destinées une image accomplie, vrai modèle et vraie leçon pour ces rimeurs obscurs qui ne songent qu’à parader devant le public en essayant d’accaparer des souvenirs devenus le patrimoine de tous.

Brillant, ému, lorsqu’il peignait Alfred de Vigny, M. Jules Sandeau a fait tour à tour œuvre de poète comique et œuvre d’académicien quand il a complimenté M. Camille Doucet. Avec quelle malice aimable il a rappelé à un public oublieux les titres et les sujets de ces comédies qui ont valu à M. Doucet les honneurs du fauteuil ! Elles sont graves et décentes, ces comédies ; elles sourient quelquefois ; savent-elles rire ? savent-elles provoquer cette chose si salutaire et si rare, la gaîté franche, sonore, qui éclate et se communique ? Je doute qu’on ait jamais entendu pétiller aux comédies de M. Camille Doucet ce rire qui courait l’autre jour sur les bancs de l’Institut, quand M. Sandeau commentait à sa façon le théâtre du récipiendaire. La gravité imperturbable de l’orateur ajoutait par le contraste à l’effet de ces saillies, les unes si fines, les autres si plaisantes. Était-ce éloge ou ironie ? Tous les deux à la fois, un éloge simple et habilement mesuré, une ironie sans fiel et intelligible seulement aux délicats. On trouvait d’abord un peu singulière l’évocation de ce beau portrait de Regnard que les amis d’Alfred de Vigny ont admiré dans son salon ; on s’étonnait surtout de voir M. Camille Doucet classé parmi les petits-fils de l’auteur du Joueur et du Légataire universel ; l’artifice charmant de l’orateur se dévoila bientôt. Ce n’était pas seulement une occasion de lui dire que son grand-père, en lui donnant sa voix pour l’Académie, aurait trouvé ce petit-fils bien rangé et l’eût soupçonné vaguement d’avoir mis de l’eau dans le vin de ses caves ; c’était surtout un moyen de faire planer au-dessus de ce théâtre languissant le génie même de la verve et du rire. A la façon vive et rapide dont M. Sandeau résumait les œuvres complètes de M. Doucet, on croyait entendre, même au milieu des éloges, la voix du grand-père, la voix de l’ancienne comédie répétant sans cesse : Allons ! dégourdis-toi ! qu’on s’évertue !

C’est en cela que M. Jules Sandeau nous a rappelé sa veine de poète comique ; l’académicien a eu son tour, et vraiment un académicien consommé. On aurait dit que l’auteur de tant de poétiques récits et de comédies aimables avait fait la gageure d’égaler les maîtres du genre académique. Je ne crois pas en effet qu’on puisse mieux réussir dans l’art de distribuer les complimens et d’associer les contraires. Réunir les noms de nos premiers poètes dans une séance consacrée à l’un d’entre eux, certes rien de plus naturel : c’était chose douce et facile que de glorifier les héroïques journées de Lamartine ; il y avait plaisir à citer des vers charmans de