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absente. Ce phénomène moral et politique donne terriblement à penser. Il se reproduira en Pologne, soyez-en sûrs, où la politique russe, qui croit éteindre l’âme polonaise en écrasant et spoliant la noblesse, sera bien surprise de la retrouver un jour au cœur des paysans, qu’elle espère corrompre par des faveurs. Devant cette conspiration des fenians, secrète maintenant en Irlande, mais ouverte et publique aux États-Unis, le gouvernement anglais est bien obligé de prendre des précautions défensives, pour lesquelles il a obtenu l’approbation du parlement. Le danger matériel sera écarté ; mais contre le mal moral d’autres remèdes sont nécessaires. Nous ne savons s’il peut y en avoir d’efficaces ; en tout cas, nous ne pouvons qu’applaudir aux sentimens qu’a exprimés M. Bright dans le pathétique discours qu’il a prononcé à propos de la suspension de l’habeas corpus. Un beau mouvement de ce discours est celui dans lequel, s’adressant aux chefs des deux partis qui divisent la chambre, à M. Gladstone et à M. Disraeli, dont il a défini en un noble langage les hautes qualités intellectuelles et morales, il leur a demandé pourquoi, au lieu de se fatiguer réciproquement en des luttes stériles, ils ne rapprochaient point leurs talens et leurs influences pour aviser ensemble à faire disparaître ce qu’il peut rester à l’Irlande de justes griefs. Le plus apparent de ces griefs est l’établissement temporel dont jouit encore en Irlande l’église anglicane. Quand le fenianisme aura été réprimé, il faudra bien que la réforme s’attaque à cet état ecclésiastique, qui est une injure à la foi religieuse de la majorité des Irlandais. Peut-être aussi cette révélation du fenianisme devrait-elle faire comprendre aux Anglais les fautes qu’ils ont commises envers le peuple américain durant la guerre civile. Le fenianisme est pour une grande partie le résultat de la partialité choquante et imprévoyante que les Anglais ont montrée pendant la guerre en faveur des rebelles, une sorte de réaction naturelle contre cette piraterie confédérée qui a pu s’armer et s’équiper si impunément dans les ports anglais. Toutes ces choses sont pour la politique anglaise le sujet de préoccupations assez mornes. C’est un fâcheux prodrome aux discussions sur la réforme parlementaire, dont la perspective inquiète visiblement, même au milieu du parti whig, les intérêts conservateurs. Ajoutez que le ministère semble affecté d’une faiblesse intime. Des rangs de la section du parti libéral opposé à la réforme, on harcèle le chef des conservateurs, M. Disraeli, comme si on le provoquait à jouer le grand jeu, et si on lui offrait une occasion décisive de rentrer au pouvoir.

Les dernières nouvelles des États-Unis sont de nature à satisfaire ceux qui auraient déploré que la question du Mexique pût devenir une occasion de mésintelligence entre la France et la république américaine. Le gouvernement américain a donné à la dépêche de M. Drouyn de Lhuys du 9 janvier le sens que nous y avions trouvé, et le discours de l’empereur, fortifiant les assurances de notre ministre, a produit sur le public américain une impression favorable. Il importe qu’on tire profit de ces bonnes