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vigueur, et qui s’annonce dès le début comme un succès, prouve au monde financier de l’Europe avec quelle fermeté l’Italie est résolue à tenir ses engagemens. Cette grande manifestation patriotique ne peut manquer d’agir sur les principales influences parlementaires et de leur imposer l’accord sur les combinaisons qui doivent relever le crédit italien. Si pourtant, contre nos vœux et contre notre espoir, il n’était pas possible de dégager la question financière de la question politique, si le cabinet devait succomber, nous croyons qu’il ne faudrait plus recourir aux replâtrages, que le parti le plus hardi et le plus franc serait aussi le plus sage, et que la responsabilité du pouvoir devrait être offerte sans hésitation aux hommes de la gauche. MM. Mordini et Crispi font depuis plusieurs années devant le public leurs preuves de talent et d’esprit politique. Peut-être auraient-ils, pour trancher les questions de réforme administrative et de finance, plus de vigueur de caractère et d’ascendant de popularité que les hommes des nuances intermédiaires, trop enclins aux demi-mesures et aux accommodemens personnels. Si les partis intermédiaires ne savaient point se réunir au présent cabinet pour sauver les finances, il serait impossible de ne pas regarder comme très rapprochée la perspective de l’avènement des hommes de la gauche au pouvoir.

Que dire de la politique si téméraire poursuivie avec un sans-façon si surprenant par le gouvernement prussien que guide le curieux Phaéton nommé M. de Bismark ? Les difficultés extérieures ne suffisent point à cet audacieux ; il faut qu’il y ajoute l’épice d’une lutte sans issue contre la chambre populaire de son parlement. Voilà un de ces forcenés rétrogrades qui pourront bientôt se montrer pour de l’argent comme des curiosités antiques, obstinés à croire et à professer que c’est l’opinion populaire qui doit céder à l’initiative du pouvoir, et qu’en politique c’est le soleil qui tourne autour de la terre ! Il est des mots dont on ne perçoit le sens que sous l’émotion de circonstances pareilles à celles qui les firent créer. La France libérale s’avisa, il y cinquante ans, d’appeler introuvable une chambre où s’étaient donné rendez-vous toutes les idées absurdes d’un régime politique disparu. Les hommes de nos jours ont pu étudier sur de remarquables échantillons le sens du mot introuvable. M. de Bismark est un beau spécimen d’introuvable. — Curieux conservateurs qui ne savent être que des casse-cou ! — Nous laissons volontiers M. de Bismark aux prises dans les duchés avec la rivalité de l’Autriche ; mais nous prêtons une attention plus curieuse à sa lutte avec la représentation prussienne. En voulant soumettre les discours des députés prononcés dans la chambre à la juridiction des cours de justice, en obtenant un arrêt dans ce sens de la cour suprême de Berlin, arrêt prononcé par cette cour, augmentée pour la circonstance de deux suppléans, à une voix de majorité, M. de Bismark s’est placé en dehors de toutes les conditions d’existence politique de ce temps-ci. Il a cru vivre apparemment à l’époque de Charles Ier et des cours étoilées, avant le long parlement et la revanche de Hampden. Une chose justifie encore ce