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politiques, le pays se démoralisait, les finances étaient dilapidées, et avec une certaine jovialité comique le prince se permettait les plus étranges caprices de dictature. Le grief principal qu’il avait mis en avant contre l’assemblée illégalement renversée par lui était l’instabilité qu’il l’accusait d’imprimer au pouvoir ; il accusait cette assemblée de la ridicule multiplicité des ministères qui s’étaient succédé depuis le commencement de son règne. On vit bien l’injustice de ce reproche quand Couza fut devenu autocrate ; il ne lui fut pas plus facile de s’entendre avec ses ministres que sous le régime constitutionnel, et les changemens de cabinets ne furent pas moins fréquens. Le prince, exploitant l’ambition patriotique qui porte les Roumains à organiser une armée nationale, affectait de s’appuyer sur l’élément militaire. Il crut tirer grand parti d’une petite émeute qui fut provoquée comme à plaisir à Bucharest l’été dernier. La seule occasion de gloire qu’il pût donner à ses soldats fut la répression de cette fausse insurrection ; mais c’est cette répression qui lui a porté malheur. L’armée a eu honte d’avoir été employée à brutaliser d’innocens pauvres diables et d’honnêtes citoyens injustement accusés. C’est depuis lors que la petite armée roumaine a pris en dégoût le pouvoir de Couza. Comme pour effacer le souvenir d’une complicité involontaire qui les humiliait, les chefs militaires se sont chargés de délivrer leurs compatriotes de cette contrefaçon du despotisme. Une nuit, le chef du poste du palais, le major Lecca, n’a eu qu’à entrer avec quelques-uns de ses hommes dans l’appartement du prince pour le décider à résigner le pouvoir. Aucune chute n’a été plus soudaine et plus complète. Couza, dans son triomphe, à l’heure des prospérités, avait fait des sénateurs et des grands dignitaires privilégiés ; on n’en a pas retrouvé un seul sous ce trône de comédie.

La révolution roumaine se recommande par deux caractères, l’unanimité des sentimens qui l’ont inspirée et l’indulgente clémence des vainqueurs. Il y a, on le sait, plusieurs partis en Roumanie, divisés soit par les questions sociales, soit par les intérêts politiques, soit par les tendances religieuses, soit encore par les alliances extérieures. Tous les partis ont oublié leurs dissentimens et se sont unis contre le despotisme de Couza ; toutes les opinions se sont fondues dans le sentiment de l’honnêteté et de la dignité nationales offensées. Il faut bien qu’il y ait dans ces alliances de partis commandées par de grands intérêts nationaux une vertu morale ; on en voit l’effet dans la douceur et l’intelligence des révolutions produites par ces alliances. Les Roumains se sont abstenus de toutes représailles contre l’homme qui les avait trompés et humiliés ; ils se sont contentés de le conduire le plus vite possible à la frontière. La révolution n’a pas été seulement modérée, elle a été habile ; le mouvement qui a porté le sénat et l’assemblée unanimes à décerner l’hospodorat au comte de Flandre a été un remarquable tour d’adresse. Les Roumains, en rendant ce témoignage à la dynastie européenne qui s’est le plus honorée par sa probité constitutionnelle, n’ont pu compter sur l’acceptation du roi des Belges ; mais en