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déjà membre de la commission des phares, en faisait nommer Fresnel secrétaire et obtenait qu’en cette qualité il fût chargé de poursuivre les expériences relatives à l’éclairage maritime. Arago déclara plus d’une fois par la suite qu’il regardait comme un bonheur de sa vie d’avoir en cette circonstance soupçonné qu’un ingénieur, alors presque inconnu, serait un des hommes dont les découvertes illustreraient la France. Le choix était en effet heureux, car Fresnel, tout en continuant avec une persévérance infatigable la série de ses recherches sur la théorie de la lumière, sut trouver le temps de perfectionner les lampes des phares et d’inventer les appareils lenticulaires, qui sont un de ses plus beaux titres de gloire. Bientôt l’Académie des Sciences l’admit dans son sein à l’unanimité des suffrages ; il n’avait que trente-cinq ans. Peu après, la Société royale de Londres lui décernait la médaille de Rumford, l’une des récompenses les plus enviées parmi celles que les compagnies savantes distribuent ; mais tant de travaux avaient épuisé les forces du savant. Absorbé par ses recherches théoriques, qu’il poursuivait pour sa satisfaction personnelle, et par les fonctions d’ingénieur, qu’il ne négligea jamais, Fresnel sentit bientôt ses forces décliner, et après une longue maladie il s’éteignit sans souffrance. Si courte que sa vie ait été, il s’est fait une grande place dans l’histoire des sciences. Artisan non moins habile que profond mathématicien, il a su tout à la fois asseoir la théorie nouvelle de la lumière sur des bases scientifiques et créer les modèles d’admirables instrumens d’une utilité pratique et providentielle.

Fresnel a eu aussi un rare bonheur. Les ingénieurs qui ont continué l’œuvre principale de ses dernières années, son frère d’abord, Léonor Fresnel, et ensuite l’honorable directeur actuel de l’administration des phares, M. Léonce Reynaud, ont conservé avec un pieux souci le culte de la mémoire du grand inventeur. Certes l’éclairage maritime a toujours été en progrès, on n’a cessé d’innover et d’améliorer peu à peu les types et les appareils ; mais les successeurs de Fresnel n’ont cessé aussi de lui en rapporter le mérite et de présenter comme un simple développement de ses idées primitives des perfectionnemens dont ils auraient eu le droit de s’attribuer l’honneur. On aime à voir une institution utile continuer ainsi les traditions d’un homme de génie, et, sans s’abandonner à la routine, ne pas renier le souvenir de son fondateur à mesure qu’elle s’étend et se développe. C’est qu’aussi la science et la théorie devaient être les bases fondamentales de l’industrie des phares, et que ceux-là surtout sont aptes à rendre justice aux recherches de leurs devanciers qui savent les continuer à l’occasion.


H. BLERZY.