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une rapidité extraordinaire et par l’agitation de la mer, que le moindre vent fait briser avec fracas contre les récifs. Il fallut d’abord explorer avec soin le plateau sous-marin, déterminer l’emplacement de l’édifice et approprier, en guise de port, une échancrure de la roche où les navires d’un faible tonnage fussent à l’abri lorsqu’ils apporteraient les matériaux à marée basse. Puis toutes les pierres qui devaient composer les assises successives furent taillées et appareillées sur l’île de Bréhat, à 10 kilomètres de l’emplacement du phare. A mesure qu’elles étaient prêtes, on les embarquait, et à marée basse on les mettait en place. Ce qui rendait les travaux plus longs et plus pénibles, c’est que les assises inférieures, celles qui exigeaient le plus de soin et de solidité, étaient recouvertes par la mer deux fois par jour. Il est d’autant plus difficile dans ce cas de donner aux assises une adhérence convenable que la mer dépose sur les pierres immergées des végétations marines, des goémons, qui acquièrent surtout beaucoup de développement lorsque la violence des vagues contraint à interrompre le travail pendant plusieurs jours consécutifs. Auprès du phare des Héaux de Bréhat le récif forme une petite plate-forme à peu près carrée, de 9 mètres de côté, qui s’élève au-dessus du niveau des hautes mers. C’est là que les ouvriers, au nombre de soixante environ, étaient logés ainsi que les ingénieurs qui dirigeaient les travaux. Dès que la mer laissait à découvert la surface du rocher, ils descendaient de cet abri provisoire et y trouvaient un refuge au retour du flot. Dans les constructions telles que celles-ci, qui sont périodiquement noyées et battues par les vagues, les pierres ne peuvent être maintenues en place qu’à la condition d’être solidaires les unes des autres. Elles sont encastrées et s’enchevêtrent, étant taillées à queue d’aronde ; de plus, les assises successives sont reliées entre elles par des dés qui donnent de la cohésion à tout l’ouvrage. Dans les fameux phares anglais d’Eddystone et de Bell-Rock[1], qui ont fait la réputation de deux ingénieurs, on a même cru ne pouvoir se dispenser de relier les pierres au moyen de boulons en fer d’un assemblage assez compliqué. Ces travaux étaient jadis d’une exécution assez incertaine et très dispendieuse. Ils sont devenus beaucoup plus faciles depuis que l’on sait confectionner des cimens qui acquièrent en peu d’heures la dureté de la pierre. Il serait même possible aujourd’hui de renoncer aux assises de grosses pierres et de fonder un phare sur une simple maçonnerie de béton. Ce procédé expéditif a déjà été employé pour la construction de petites tours qui servent

  1. Voyez sur ce sujet l’intéressant travail de M. Alphonse Esquiros, — les lumières flottantes elles phares d’Angleterre, — Reue du 1er septembre 1864.