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dans l’origine que 37 mètres de hauteur ; aussi les navigateurs se plaignaient-ils fréquemment que le feu ne fût pas visible d’assez loin. Deux cents ans plus tard, l’ingénieur Teulère entreprit d’exhausser ce phare, et y réussit sans compromettre la solidité du monument. La hauteur totale en fut portée à 60 mètres au-dessus du niveau des plus hautes mers. Le premier et le second étage, qui appartiennent à la construction primitive, forment deux salles grandioses décorées de sculptures, et l’on a eu grand soin, en les restaurant il y a dix ans, de conserver le style de l’époque et de faire revivre l’ornementation élégante que le premier architecte y avait introduite. Outre le luxe de la construction, ce phare se distingue encore de ceux qui sont isolés comme lui au milieu de l’Océan en ce qu’il y existe, tout autour du pied de l’édifice, une large plate-forme sur laquelle les logemens des gardiens ont été bâtis. C’est sous tous les rapports un monument incomparable, tant par la beauté que par l’étendue de la construction, et par le talent dont les ingénieurs ont fait preuve dans les modifications successives qu’ils lui ont fait subir. C’est une œuvre d’art que les touristes visiteraient plus souvent s’il ne fallait faire un petit voyage sur mer pour y arriver. « Les formes trop nues de la construction moderne, dit M. Reynaud, ont quelque chose de sec qui contraste d’une manière regrettable avec l’élégance et la richesse trop grandes peut-être de l’œuvre de la renaissance. Le couronnement actuel ne vaut pas à beaucoup près celui qui existait autrefois. Du reste la première impression que fait éprouver l’édifice ne laisse place à aucun regret. On est saisi d’un profond sentiment d’admiration dès qu’on se trouve en présence de ce majestueux monument, s’élevant avec tant de hardiesse du sein de l’Océan. »

Il ne reste aucun souvenir des procédés, très curieux sans doute, auxquels l’architecte du XVIe siècle a dû recourir pour fonder avec tant de succès la tour de Cordouan sur un rocher que les vagues balayaient à chaque marée. On a construit de nos jours plusieurs phares dans des situations analogues. Tel est celui des Héaux de Bréhat[1], à 5 kilomètres au large de la côte bretonne, sur une roche porphyrique qui était l’effroi des marins, et dont quelques aiguilles seulement émergent à marée haute. Il fut bâti par M. Reynaud, de 1836 à 1839, à une époque où, faute de bateaux à vapeur, les travaux à la mer étaient soumis à tous les caprices des vents et des courans. La construction était rendue encore plus difficile par la violence des courans de marée qui circulent entre les écueils avec

  1. M. de Quatrefages a donné dans la Revue du 15 février 1844 une description complète de ce phare.