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avec les appareils lenticulaires surpassent de beaucoup ce qu’il était permis d’espérer avant les travaux de Fresnel. Un appareil à feu fixe pour phare de premier ordre, avec une lampe unique qui équivaut à 23 becs de lampe Carcel, envoie sur l’horizon maritime autant de lumière que le pourraient faire 630 becs agglomérés au même point. L’effet en est donc amplifié vingt-sept fois par le passage à travers les lentilles en verre. Si l’appareil est à éclipses de minute en minute, l’amplification est bien plus considérable, car l’éclat lumineux qui frappe l’œil au moment de l’intensité la plus vive a autant de puissance qu’en auraient 5,075 becs de lampe Carcel ; l’effet est donc multiplié environ 220 fois. Si l’on veut se rendre compte de l’intensité d’une telle lumière, qu’on imagine, s’il est possible, tous les becs de gaz d’un quartier de Paris concentrés en un seul et même point. Les appareils catoptriques n’eussent jamais permis de produire de si splendides éclats ; les plus puissans d’entre eux atteignaient à peine 2,700 becs, encore n’était-ce qu’en multipliant outre mesure le nombre des lampes et des miroirs réflecteurs. Au reste les belles lumières dont il vient d’être question ne peuvent être réalisées dans la pratique qu’autant que les diverses pièces composant l’appareil ont été étudiées avec soin dans leurs plus minutieux détails. Au siècle dernier, on a essayé, dit-on, d’établir en Angleterre des phares lenticulaires, et l’on fut obligé d’y renoncer parce qu’ils éclairaient plus mal que la houille ou le charbon de bois. Le succès définitif du système est dû tout entier aux améliorations successives que Fresnel y a introduites, ou, à mieux dire, Fresnel l’a créé de toutes pièces, puisqu’il n’y avait eu avant lui que des projets vagues ou des essais informes. Aussi cet ingénieur mérite qu’on lui attribue l’honneur des brillans résultats que l’administration des phares a finalement atteints. Les phares lenticulaires sont à la fois une conception merveilleuse de la science et un chef-d’œuvre de fabrication industrielle. La science n’est pas moins nécessaire à l’ingénieur qui dessine le plan des prismes réfracteurs que l’adresse à l’artiste qui les polit et les enchâsse en leur monture.

Ce serait une erreur de croire qu’en amplifiant à un si haut degré l’intensité des éclats lumineux, on augmente en proportion la portée du phare, la distance à laquelle il peut être aperçu de la haute mer. Deux causes contribuent à limiter cette distance : la courbure de la terre, qui rejette les rayons en dehors de l’atmosphère, et l’opacité de l’air, qui les éteint. Le premier obstacle dépend surtout de la hauteur du feu au-dessus du niveau de la mer, et l’ingénieur est maître en général d’y remédier en exhaussant la tour du phare autant qu’il le juge utile. C’est donc de la transparence de l’air que dépend surtout la portée. L’air, si translucide