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phare d’Alexandrie. Nous disposons cependant de moyens d’éclairage de beaucoup supérieurs à ceux que connaissaient les anciens. On rapporte aussi qu’un signal de nuit éclairait le bosphore de Thrace. En Italie, l’entrée du port d’Ostie était indiquée par un feu. Pouzzoles et Ravenne eurent des phares d’une architecture magnifique et construits en pierres blanches afin d’être mieux vus de loin en plein jour. Des édifices du même genre furent sans doute élevés par les Romains sur tous les rivages qu’ils fréquentaient, du moins il en est resté longtemps des vestiges en certains pays. On voyait encore au XVIIe siècle un phare de construction romaine que Caligula avait fait élever sur la côte de France, près de Boulogne. Tous ces feux, destinés à montrer de loin aux navigateurs l’entrée des principaux ports, avaient le même but ; mais l’éclat en devait être faible et incertain, la science de l’optique étant alors dans l’enfance. On n’avait aucun souci à cette époque d’éclairer les parties intermédiaires du littoral, et le navigateur, qui n’osait s’éloigner de la terre, n’avait pendant la nuit, comme aujourd’hui sur les côtés barbares, aucun guide qui lui indiquât la voie à suivre. En résumé, il peut être vrai que les phares des siècles passés fussent, ainsi que les historiens le racontent, des monumens remarquables et des merveilles d’architecture ; mais on peut affirmer sans crainte que la lueur terne et vacillante qui en émanait était loin d’avoir l’éclat et la régularité des lumières de nos phares modernes.

L’éclairage des côtes repose maintenant sur de tout autres principes. On a jugé avec raison qu’il importait avant tout de signaler au navigateur arrivant du large l’approche de la terre, puisque c’est près de la terre que la navigation est exposée aux plus grands dangers. Le littoral présente de distance en distance des caps qui avancent plus ou moins en mer, ou bien des îles, des récifs, des écueils sous-marins qui doivent être évités. Sur les pointes les plus extrêmes sont établis les phares de premier ordre, dont les feux sont élevés à une grande hauteur et sont garnis des appareils optiques les plus puissans, en sorte qu’ils s’annoncent à la plus grande distance. Ils sont espacés les uns des autres de telle façon qu’il soit impossible, à moins d’une brume intense, d’arriver près de terre sans avoir au moins l’un d’eux en vue ; de plus leurs feux sont diversifiés par des combinaisons d’éclipsés et d’éclats alternatifs, de telle sorte que le navigateur reconnaît au seul aspect de la lumière le nom du phare qu’il aperçoit. S’il longe la côte pendant la nuit, il est certain d’être à l’abri de tout danger en se tenant au large de ces feux, et à mesure que l’un d’eux s’éteint et disparaît à l’arrière dans les brumes de l’horizon, un autre se lève à l’avant et lui trace une nouvelle route.