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terrains vagues, de régler les aménagemens en vue de la production la plus avantageuse pour la société, d’autoriser ou de refuser le défrichement des bois particuliers, de réglementer le pâturage dans les bois communaux, car ce sont là des intérêts qui non-seulement lui sont étrangers, mais qui sont souvent en contradiction avec ceux qu’il a la mission de défendre. Sans doute il existe une administration forestière dont les attributions embrassent toutes les questions spéciales, et c’est grâce à l’activité et au désintéressement des agens qui la composent que les inconvéniens du système ne se sont pas jusqu’ici fait trop sentir ; mais comme après tout c’est le ministre qui décide les questions et qui choisit les hommes, il n’est pas étonnant qu’il se place presque toujours au point de vue qui doit le préoccuper d’abord. Il y a eu sans doute de nombreuses exceptions, mais l’histoire prouve que c’est dans les institutions et non dans les hommes qu’il faut placer la sauvegarde des intérêts sociaux. L’administration des forêts serait donc plus convenablement placée dans les attributions du ministère du commerce, de l’agriculture et des travaux publics, auquel la rattachent les services principaux qu’elle est appelée à rendre au pays.

Depuis fort longtemps, cette conséquence avait frappé les esprits réfléchis, et dès 1847 un grand nombre de conseils-généraux avaient émis des vœux dans ce sens. Plus tard, en 1854, un directeur-général des forêts qui était cependant un ancien inspecteur des finances, M. Blondel, avait cru de son devoir de signaler à l’empereur l’anomalie du régime actuel. Sa démarche n’eut aucune suite, et la question paraissait avoir beaucoup perdu de son importance, grâce à l’habile et loyale direction que MM. de Forcade La Roquette et Vicaire avaient su donner à l’administration forestière, quand le projet d’aliénation vint la remettre à l’ordre du jour. Elle se pose aujourd’hui en termes très simples et se résume en quelques mots : c’est que, si l’on veut conserver des forêts domaniales, il ne faut pas en confier la gestion à ceux qui ont intérêt à s’en défaire. C’est ce qu’avait demandé la Société d’agriculture de Nancy dans une pétition qu’elle adressa au sénat en 1865, et qui fut repoussée sans discussion par l’ordre du jour ; c’est le vœu qu’ont récemment formulé plusieurs conseils-généraux, notamment ceux de la Meurthe et des Vosges ; c’est aussi la conclusion à laquelle arrivent tous ceux qui étudient impartialement la question, et elle est si logique que tôt ou tard elle s’imposera forcément au gouvernement. Il est à désirer, dans l’intérêt public, que ce soit le plus tôt possible.


J. CLAVE.