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hectares environ dans laquelle le ruisseau du Caunan prend sa source. Au bord de ce ruisseau sont établies plusieurs fabriques de drap. Pendant longtemps, la forêt dévastée suffisait à peine aux besoins des habitans ; ce ruisseau, transformé en torrent pendant l’hiver, était à sec pendant l’été et laissait chômer les usines. Depuis 18/iO, la forêt, mieux soignée, plus respectée, s’est repeuplée peu à peu ; aussitôt le régime du cours d’eau s’est modifié, les crues sont devenues moins brusques et moins violentes, la sécheresse a disparu, et le débit s’est régularisé de manière que les usines n’ont plus souffert d’aucun chômage. Il n’est pas de contrée où l’on ne puisse citer quelques faits analogues, pas de départemens où les gens de la campagne ne puissent vous montrer l’emplacement de sources disparues à la suite de défrichemens. Du reste, ces considérations ont paru assez puissantes au gouvernement pour le déterminer à présenter en 1860 un projet de loi pour le reboisement des montagnes. Les résultats constatés jusqu’ici sont assez sensibles déjà pour qu’on ait lieu de s’étonner des doutes que certaines personnes paraissent conserver sur ce point[1].

Ce n’est pas seulement dans les montagnes, comme on l’entend répéter souvent, que cette influence s’exerce. Dans le département de l’Oise, on a constaté une diminution dans le débit des cours d’eau depuis les nombreux défrichemens qu’on y a faits. Dans son rapport adressé au conseil-général du Haut-Rhin au sujet du défrichement de la Harth, l’ingénieur en chef, M. Muntz, affirme que cette forêt provoque des pluies dont ces plaines sablonneuses ont le plus grand besoin. Au sommet des Vosges, la hauteur au pluviomètre de la pluie qui tombe annuellement est de 1m45 ; sur les bords du Rhin, elle n’est que de 0m539, et serait inférieure encore, si la forêt n’existait pas. Même en 1865 ne sont-ce pas les départemens déboisés qui ont le plus souffert des sécheresses prolongées ?

L’influence que les forêts exercent à ces différens points de vue a paru être une considération assez puissante pour motiver depuis un temps immémorial des lois contre le défrichement des bois particuliers. Ces lois, qui, sous l’ancienne monarchie, allaient dans certains cas jusqu’à édicter la peine de mort, se sont modifiées avec le temps ; mais elles n’en ont pas moins subsisté jusqu’à nos jours, et donnent au gouvernement le droit de s’opposer au défrichement d’un bois dont la conservation est jugée nécessaire.

  1. En Suisse, ces faits sont considérés comme si bien établis, que le comité du congrès pour l’avancement des sciences sociales qui eut lieu à Berne en 1865 avait introduit dans le programme la question suivante : « Quelle est l’influence de la police des eaux et forêts dans les hauts pays de l’Europe sur les pays inférieurs ? Serait-il possible d’établir une communauté de législation entre les divers pays dépendant d’un même fleuve pour protéger leurs intérêts respectifs ? »