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reboisemens étendus, une contrée très habitable. Malgré cet exemple, le gouvernement a proposé l’aliénation de 30,000 hectares de la forêt d’Orléans, qui repose sur un terrain de sable et d’argile, et que le défrichement transformerait en une nouvelle Sologne[1]. Le conseil-général du Loiret n’a pas attendu, nous l’avons dit, qu’on le consultât pour se prononcer contre le projet du gouvernement. Tout le monde sait que sur le littoral de l’Océan, dans les départemens des Landes, de la Gironde, de la Charente-Inférieure et de la Vendée, des forêts de pins maritimes, créées à grands frais, protègent les terres contre l’envahissement des sables, qui, poussés par les vents d’ouest, menaçaient d’engloutir les cultures et les moissons. Depuis que Brémontier a imaginé ce moyen de fixer les dunes, le gouvernement a reboisé environ 62,000 hectares au prix moyen de 275 fr. par hectare[2]. Bien que le but de cette création fût non le revenu que ces forêts pourraient donner un jour, mais seulement la protection du littoral, on en tirait cependant un produit assez considérable par l’exploitation de la résine. Pendant la guerre d’Amérique, cette substance ayant triplé de valeur, le gouvernement a cru faire une bonne affaire en proposant au corps législatif, qui y consentit, de vendre ces forêts. 17,000 hectares environ passèrent de 1861 à 1865 entre les mains des particuliers, qui, voulant profiter de la hausse de la résine, ont gemmé les pins à outrance ; ils ont si bien fait que, selon toute probabilité, avant dix ans la plus grande partie de ces forêts sera détruite et qu’il faudra recommencer l’opération qui avait coûté si cher[3]

  1. « N’avons-nous pas sous les yeux mêmes, dit à cette occasion une feuille locale, le triste exemple des déboisemens inconsidérés ? La Sologne est à nos portes : elle aussi fut boisée autrefois, elle était alors productive et salubre. La bâche des faucheurs de bois l’a réduite à l’état où nous l’avons vue. Pas n’est besoin de dire ce qu’il a fallu et ce qu’il faudra encore d’efforts et de dépenses pour réparer le désastre commis en un jour d’incurie et d’entraînement — Gardons-nous sur la rive droite de la Loire d’une Sologne nouvelle pour remplacer celle qui, sur la rive gauche, recrée à grand’peine ses bois et ses cultures… Pourquoi, avant de changer la face d’un pays tout entier par une mesure irréparable, avant de porter la cognée au pied de ces bois que les siècles ont patiemment élevés, avant de vendre l’héritage transmis par les générations passées, ne consulterait-on pas, en même temps que les hommes de science théorique, ces populations qui connaissent si bien pratiquement et le sol où elles sont nées, qu’elles ont arrosé de leurs sueurs, et ces masses boisées qui sont consacrées par le temps et par leur respect ? »
  2. Voici comment ce prix peut être établi :
    Travaux de premier établissement, préparation du sol et semis 150 fr.
    Entretien jusqu’à ce que ce que le semis soit assuré 100
    Travaux accessoires, palissades, etc 25
    Total. ….. 275 fr.
  3. Au point de vue financier, cette opération a été très peu avantageuse. Ces 17,000 hectares ont rapporté au trésor 11,300,000 francs ; mais cette somme renferme des élémens très variables, puisque dans la forêt de la Teste, aux environs d’Arcachon, certains lots ont été vendus comme terrains à bâtir. On peut dire cependant que les parties peuplées de plus de vingt-cinq à quarante ans en cours de gemmage ont été payées de 800 à 1,000 francs l’hectare ; quant aux bois plus jeunes, ils n’ont donné qu’un chiffre dérisoire, puisque certaines parties n’ont pas été vendues plus de 50 francs par hectare ; on a même essayé de mettre en vente des semis de un à cinq ans, pour lesquels heureusement on n’a pu trouver d’acquéreurs.