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derrière, d’être étranglé dans les pièges des coteries et des petits manèges parlementaires auxquels peut surtout se laisser prendre une chambre des communes qui compte autant de membres nouveaux.

Dans une situation qui comporte ces incertitudes, tous les regards se tournent sur M. Gladstone, quoique l’on fasse remarquer que jamais jusqu’ici il n’a occupé un premier rôle, et que plus d’une fois, enivré par le succès, il lui est arrivé de se laisser aller à des développemens d’éloquence embarrassans pour ses collègues et pour lui. Était-ce le fait d’un esprit imprudent ou d’une personnalité qui cherchait à s’affirmer ? Toujours est-il néanmoins qu’il est le plus grand orateur de la chambre des communes, comme le plus populaire des chanceliers de l’Échiquier, et que, libre enfin des entraves que lui imposait sa situation antérieure de représentant de l’université d’Oxford, il semble que rien ne doive plus l’arrêter dans le développement de ses convictions libérales et de sa carrière politique. Son avènement inaugurerait une ère nouvelle dans la constitution des partis, dans la politique intérieure et dans les transformations de l’esprit public de l’Angleterre. Disciple bien-aimé de Robert Peel, qui reste toujours dans notre opinion le meilleur et le plus grand des hommes d’état qu’ait encore produits le XIXe siècle, M. Gladstone a l’avantage de n’être ni whig ni tory. Devenu par l’éclat du talent, par les grâces de son caractère, par l’autorité des services rendus, le premier d’un groupe d’hommes considérables, mais tenus pendant longtemps à l’état d’observation jalouse par les partis, qui se défiaient de leur esprit nouveau, il est aujourd’hui le leader, le chef de la majorité dans la chambre des communes, et au dehors de la chambre il possède une popularité sans égale, quoiqu’elle n’ait été achetée par aucun de ces actes de courtisanerie dont les multitudes sont toujours si facilement les dupes. Avec M. Gladstone et ses amis, c’est un parti tout nouveau qui arriverait au pouvoir, — exemple mémorable et encourageant de ce que peut la liberté pour préparer pacifiquement les évolutions intérieures des peuples, pour développer la prospérité matérielle et la grandeur morale des nations en exaltant la dignité des citoyens.


XAVIER RAYMOND.