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aimait le pouvoir pour le pouvoir lui-même, ils ne verront peut-être qu’un ambitieux médiocre et sans principes. Dans la carrière de cet homme d’état qui fut ministre pendant un demi-siècle, ils remarqueront la lacune que déjà l’on signale, la stérilité que déjà on lui reproche, car il n’a enrichi le statute-book, la collection des lois anglaises, d’aucun bill important, et qui témoigne des soucis qu’il avait pour la liberté de ses concitoyens ou pour l’amélioration du sort de ses semblables. De lord Palmerston il ne reste rien que des souvenirs sans corps et destinés à s’éteindre avec la vie de ceux qui l’ont connu, tandis que le nom du comte Russell restera éternellement gravé sur les tables de la loi comme celui du patriote libéral qui, dans la chambre des communes, contribua plus qu’aucun autre à faire voter le bill de 1832. Et nos descendans, jouissant de tous les biens qu’ont produits les réformes politiques et administratives auxquelles le comte Russell eut une si grande part, mais ne sentant plus les imperfections de caractère qui lui auront créé à lui-même tant d’entraves, accuseront peut-être la génération présente d’ingratitude.

Néanmoins ces imperfections sont réelles, et on a pu en reconnaître les fâcheux effets dès l’instant même où le comte Russell est devenu premier ministre. Par suite de ce choix, que les événemens imposaient, que la reine n’était pas libre de ne pas faire, le cabinet s’est trouvé comme dissous. Il est vrai que les changemens causés dans le personnel du ministère par les pertes si nombreuses qu’il avait subies faisaient que du vivant même de lord Palmerston le cabinet n’était pas suffisamment représenté dans la chambre des communes, et qu’il y avait lieu à un remaniement nécessaire. Cependant, si le comte Russell avait eu dans le caractère et dans l’esprit quelque peu de ce liant qui distinguait son prédécesseur, s’il n’eût point, dès son avènement, affiché certaines prétentions inflexibles non d’amour-propre, mais de doctrine, la plupart de ses collègues ne se seraient pas crus obligés de mettre leurs portefeuilles à sa disposition. — Ce n’est là pourtant qu’une façon de parler ; ce qui est vrai, c’est que plusieurs des membres de l’administration ont offert leur démission. L’un d’eux, le principal secrétaire pour l’Irlande, sir Robert Peel, a été aussitôt remplacé. On lui a donné pour successeur le très honorable Chichester S. Fortescue, qui était déjà sous-secrétaire aux colonies, et dont la nomination, car il est lui-même Irlandais, peut passer pour une avance faite à l’Irlande. Après trois mois de la situation la plus indécise (heureux le pays qui peut supporter sans avoir l’air de s’en préoccuper une crise ministérielle d’une pareille durée !), le comte Russell, pressé par l’ouverture du parlement, a complété enfin ou à