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qu’à un âge où l’esprit de l’homme, comme un champ chargé du trésor de sa moisson, est incapable de recevoir une nouvelle semence. Or la politique est une spécialité dont on ne peut plus faire l’apprentissage lorsqu’on a passé le temps d’apprendre ; c’est même une spécialité très tranchée, à tel point que l’Angleterre, le pays par excellence des grands capitalistes et de quelques-uns des maîtres de la science économique, n’a cependant trouvé chez aucun de ses merchant princes un chancelier de l’échiquier. Ne semblerait-il pas pourtant à première vue que la différence de celui-ci à ceux-là doive être bien peu de chose ? Mais, disait excellemment M. Gladstone aux électeurs de Chester en leur présentant son jeune fils, la politique, la carrière de la chambre des communes est a trade, une profession qu’exercent utilement pour le pays ceux-là surtout qui s’y sont dévoués de bonne heure. — Parlant à un auditoire anglais, il n’avait pas besoin de citer des exemples, et on nous permettra d’ajouter que Pitt, Canning, le comte Grey, lord Palmerston, sir Robert Peel, le comte Derby, le comte Russell, lord Stanley, M. Disraeli, M. Gladstone lui-même, qui était député de Newark à l’âge de vingt-deux ans, en un mot presque tous ceux qui depuis un siècle ont compté parmi les personnages importans du parlement anglais étaient entrés jeunes dans la vie politique.

Il est une autre cause aux appréhensions que paraît exciter dans le public la présence au parlement d’un aussi grand nombre de capitalistes et d’hommes d’affaires : c’est que la nouvelle chambre des communes compte parmi ses membres presque deux cents administrateurs de compagnies de chemins de fer. Ceci mérite explication. Tandis que nous avons fini chez nous par diviser tout notre système en six grands réseaux que l’on serait presque tenté de prendre pour autant de grands fiefs industriels concédés à autant de compagnies, si elles n’étaient pas tenues en bride par le ministère des travaux publics, chargé de prévenir dans l’intérêt général les abus du monopole, on a laissé, en Angleterre, les chemins de fer se développer sous le régime de la plus libre concurrence, en dehors de tout autre contrôle que celui du parlement, lequel a montré le soin le plus jaloux pour retenir exclusivement dans ses mains tout ce qui est relatif aux chemins de fer. En fait, il n’est pas d’autre autorité que la sienne avec laquelle les compagnies aient à compter pour leurs concessions, pour les tracés de leurs lignes, pour leurs fusions, pour les embranchemens ou pour les modifications de statuts qu’elles sollicitent, pour les pouvoirs dont elles sont investies, pour les règlemens et les lois de police générale qui les régissent. Jusqu’ici, les Anglais n’ont pas encore trop à se plaindre de la marche qu’ils ont suivie, car, sans demander un