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l’expérience a montré non-seulement que les députés de cette catégorie n’apportent pas en général au parlement les lumières dont il a le plus besoin, mais qu’ils sont le plus souvent encore la cause de graves embarras, sans jamais fournir les moyens d’en sortir. Prenons le plus illustre exemple que l’on puisse citer de nos jours, celui de l’excellent et respecté Richard Cobden. Dans la lutte qu’il soutint pour l’abolition des corn laws, il fut un admirable agitateur ; mais, lorsque la reconnaissance publique lui eut ouvert les portes de la chambre des communes, quel parti sut-il tirer de son éloquence, de sa popularité, de la considération que lui méritaient tant d’aimables vertus ? Il ne put être lui-même le promoteur d’aucune des lois qui assuraient la victoire à sa cause ; il vivait au milieu de la chambre comme un excentrique, comme un esprit dépaysé, toujours mécontent, plus gênant en mainte circonstance pour ses amis que pour ses adversaires, tourmenté de chimères impraticables, ayant contribué plus d’une fois à produire des crises ministérielles qu’il ne pouvait lui-même aider le pays à résoudre, si bien que le jour où on lui offrit un poste dans un cabinet, il ne crut pas pouvoir l’accepter.

On en devrait dire autant de son ami M. Bright. C’est l’un des plus grands orateurs de son époque, et pourtant quel bénéfice l’Angleterre a-t-elle retiré de cette merveilleuse éloquence ? C’est un antagoniste des plus redoutables ; mais cela ne suffit pas dans la politique : il faudrait bien aussi être capable d’aider la machine à marcher, il faudrait au moins montrer quelque puissance pour faire avancer les questions que l’on affecte d’avoir le plus à cœur, il faudrait surtout ne point avoir l’air de s’en jouer, ou, quand on est mis au pied du mur, de ne pas savoir exactement ce que l’on veut. C’est cependant ce que faisait il y a six mois M. Bright, lorsque, pressé de s’expliquer devant un meeting sur la réforme électorale, il s’excusait de ne pas paraître en alléguant qu’il fallait ajourner cette cause à la mort de lord Palmerston ; c’est ce qu’il faisait encore plus récemment lorsqu’après la mort de lord Palmerston on l’a vu, dans son discours de Manchester, ne pouvoir rien formuler lui-même, mais sembler seulement préparer ses batteries pour ruiner tous les projets que d’autres vont apporter. Ces expériences et tant d’autres, que les Anglais ont faites, ont inspiré beaucoup de défiance contre la capacité politique des députés de cette origine, quels que soient leurs talens appliqués à d’autres branches de l’activité humaine. Les hommes de cette origine ont en effet presque toujours le désavantage de ne pouvoir rêver les honneurs du parlement que comme le couronnement d’une existence employée avec succès à d’autres soins et de n’obtenir ces honneurs