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partis du degré le plus humble, ont dû conquérir leur position dans le monde par d’immenses labeurs, ne sont pas mariés ou ne se marient que très tard, et n’ont pas d’héritiers directs de leurs noms et de leurs dignités. Le livre du Peerage est là pour en faire foi. De la pairie anglaise on peut dire qu’elle est surtout un lieu de passage pour ce que chaque génération produit de plus distingué dans tous les services publics et même dans le commerce ; mais l’éclat qu’elle jette sur une famille n’est que bien rarement durable. Aujourd’hui même, arrivés que nous sommes à peine aux deux tiers du XIXe siècle, il n’est pas moins de 309 membres de la chambre des lords sur les 455 qui la composent dont les titres ne datent que des années postérieures à 1800. De ces 309, il en est 82 qui siègent à titre viager ou électif, et sur les 146, dont l’origine date des siècles antérieurs au nôtre, il n’en est que 30 qui remontent jusqu’au XVIe ou au-delà. Au contraire, la gentry, avec ses institutions et ses mœurs, ne représente pas seulement les positions acquises ; elle représente surtout les positions solides et durables, si bien que dans le nombre très considérable des familles qui la composent il en est une multitude dont l’histoire authentique remonte beaucoup plus loin que les parchemins de la noblesse, laquelle d’ailleurs n’est bien souvent que la descendance de branches cadettes issues des rameaux principaux de la gentry, et qui ont fait leur fortune dans les armes ou dans les services publics. On connaît la réponse que fît à Guillaume III un membre de la chambre des communes qui lui avait été présenté comme étant l’un des parens du duc de Somerset. — Vous êtes, disait le roi pour entrer en conversation, vous êtes de la famille du duc de Somerset ? — Non, sire, répondit l’autre, c’est le duc de Somerset qui est de ma famille. — Appartenant à la branche aînée, le membre de la chambre des communes continuait à se regarder toujours comme le chef de la famille, bien que la création du titre de duc de Somerset, qui remonte par exception à 1546, datât déjà de plus d’un siècle.

Aussi, bien que la gentry constitue une variété à part dans la société anglaise, est-il très difficile, surtout à des étrangers, de la distinguer de la noblesse proprement dite, d’autant que le plus juste peut-être serait de la considérer comme l’aristocratie véritable du pays. Toutefois les deux variétés ont des sentimens et des intérêts si semblables que l’on peut les ranger dans la même classe ; faire le départ entre ceux qui appartiennent à l’une et à l’autre catégorie serait presque impossible. Contentons-nous donc de dire seulement que sur 658 membres de la chambre des communes il en est environ 480 dans le nouveau parlement, soit plus des trois cinquièmes, qui appartiennent à des familles nobles ou à celles de