Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 62.djvu/178

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’à ce moment l’effervescence était très grande, que l’indignation soulevée par la conduite de la Prusse et de l’Autriche était unanime, que la presse et les deux chambres retentissaient des appels les plus véhémens à l’honneur de l’Angleterre. Les communes tinrent bon cependant, et au fond elles étaient dans le véritable courant du sentiment public, car il est hors de doute que, si aujourd’hui la question pouvait être posée à nouveau, ce seraient non pas 18, mais 100 voix qui voteraient encore pour la politique d’abstention. Il est à remarquer aussi que depuis le jour où succomba le ministère tory jusqu’à celui de la dissolution du parlement, c’est-à-dire pendant six ans, ce fut la seule occasion où l’attitude des chambres permit à l’opposition de risquer une question de cabinet, Loin de se prêter à une réaction conservatrice, l’opinion abandonnait de jour en jour les conservateurs.

Ce parlement d’humeur si pacifique était sensé et laborieux, très libéral et très sincèrement dévoué aux intérêts des masses, sans courtiser cependant la popularité et même en ayant quelquefois le courage de faire des choses qui pouvaient bien ne pas être tout à fait du goût du public. Rien ne lui eût été plus facile que de se rendre populaire en votant un bill de réforme quelconque, celui qui par exemple fut présenté par lord Palmerston en 1860 ; mais, voyant que si d’un côté personne ne repoussait en principe le projet d’une réforme, d’un autre côté personne ne semblait capable de trouver un moyen terme entre les systèmes qui se produisaient de toutes parts, le parlement, ne se sentant pas pressé par les exigences du pays, ajourna la question. De même encore il lui avait fallu un certain courage, non pas seulement pour voter le budget des dépenses qui lui fut présenté pour l’exercice 1860-61 (73 millions de livres sterling ou 1 milliard 825 millions de francs), mais aussi et surtout pour vouloir que cette grosse somme fût exclusivement demandée à l’impôt. Jamais, dans une année de paix, le budget des dépenses ne s’était élevé à un chiffre aussi considérable, et il eût été si aisé de demander au crédit, aux bons de l’échiquier, à la dette flottante, à toutes les formes d’emprunts déguisés ou avoués, que notre siècle produit en si grande abondance, de venir provisoirement soulager les contribuables ! Cependant, sur l’invitation de M. Gladstone, la chambre des communes refusa honnêtement d’entrer dans cette voie. Les dépenses auxquelles il s’agissait de faire face étant des dépenses passagères et improductives, le parlement ne se crut pas en droit d’en faire supporter une part à l’avenir, et pendant toute la durée de son existence il ne fit qu’une seule dérogation au principe en faveur du projet assez mal digéré qu’il se laissa imposer par lord Palmerston pour couvrir de fortifications les côtes de l’Angleterre. Les hommes du métier que