que les générations élevées depuis ce demi-siècle sont désormais habituées à invoquer pour le gouvernement de leurs affaires comme les bases infaillibles d’une sorte de religion. Les Anglais s’en trouvent bien, mais il est impossible que le profit qu’ils en ont tiré n’ait pas nécessairement aussi exercé une influence puissante sur leurs esprits et sur leurs sentimens. La liberté, — car c’est toujours elle qui se trouve au fond de toutes ces questions, sous quelque aspect qu’elles se présentent, — la liberté, dont les Anglais jouissent aujourd’hui si pleinement et sous toutes ses formes, leur a suffisamment appris, par tous les travaux qu’ils ont dû faire pour l’établir chez eux, qu’elle n’avait qu’un seul fondement, une seule sauvegarde, une seule preuve de sa réalité, — le respect des droits d’autrui et des minorités. La majorité, elle, n’est presque jamais embarrassée pour faire triompher sa volonté ou ses passions, et bien souvent elle ne le fait que trop : c’est ce que l’histoire nous enseigne, mais en nous enseignant aussi que les majorités qui ne savent pas se contenir elles-mêmes au regard des droits d’autrui finissent toujours par tomber sous le fouet du despotisme. Telle est l’admirable vertu, telle est aussi la délicatesse de la liberté qu’elle ne peut vivre elle-même qu’en couvrant les faibles de son égide, en garantissant l’air respirable à tous les intérêts et à tous les sentimens qui sont innocens devant la morale. Cette généreuse solidarité des faibles et des forts, les Anglais la comprennent et la pratiquent aujourd’hui si bien qu’ils ont fini par faire entrer les minorités comme des parties nécessaires dans la constitution de l’édifice religieux et politique, et que les minorités se considèrent à leur tour comme des organes indispensables du corps social, exerçant leurs fonctions à titre aussi utile dans la vie de l’ensemble que le gouvernement ou la majorité elle-même : elles n’en sont pas, comme ailleurs, les ennemis ; elles en sont le complément. C’est sous l’influence de ces idées que l’opposition, qui est la minorité dans le parlement, s’appelle si volontiers l’opposition de « sa majesté, » non qu’en prenant ce titre si peu usité dans d’autres pays elle veuille faire parade de sa fidélité au trône ; elle revendique ainsi la part qui lui revient, comme à la majorité la sienne, dans le gouvernement des affaires publiques. Pour remplir le rôle que la constitution lui assigne, il faut à la reine une opposition, comme il lui faut un ministère.
Ces principes, qui font aujourd’hui partie du credo politique de tous les Anglais, ne laissent planer aucun doute sur la sincérité avec laquelle ils disent, instruits par l’expérience, qu’ils n’entendent plus maintenir leur suzeraineté sur leurs colonies qu’autant que le maintien de cette suzeraineté conviendra aux colonies elles-mêmes. Comment imaginer par exemple qu’un citoyen qui regarde