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bases honorables pour toutes les parties, et si dans le sud il est des gens qui le trouvent encore trop rigoureux, il faut cependant lui savoir gré de la résistance qu’il oppose aux passions vindicatives, qui ne sont pas encore partout éteintes dans le nord. En fait, il n’a jusqu’à ce jour engagé aucune discussion délicate avec quelque puissance que ce soit, car la négociation entamée avec l’Angleterre au sujet des indemnités que les États-Unis réclamaient à propos de l’Alabama et des autres bâtimens confédérés, c’était M. Lincoln qui l’avait ouverte, comme il avait annoncé d’ailleurs qu’il le ferait lorsque le sud aurait été contraint de déposer les armes.

Cette demande, à laquelle l’Angleterre répondait de son côté par une demande reconventionnelle de dommages et intérêts pour les torts que certains de ses sujets ont eu à souffrir de la part des autorités des États-Unis pendant la durée de la guerre civile, est restée le seul point vraiment délicat des relations extérieures de la Grande-Bretagne. On a publié les pièces relatives à cette première phase de la négociation, qui a été close par une dépêche du comte Russell en date du 3 novembre 1865. Il s’agit des affaires de deux peuples libres, les gouvernemens qui en sont chargés se sont empressés de les déférer à l’opinion, recherchant la force que donnent son concours et son approbation, et ne voulant pas courir la chance d’être un jour réduits à venir déclarer que des affaires qu’ils auraient conduites sans contrôle, dans le mystère des chancelleries, devraient se résoudre par une crise où serait engagée sans réserve la fortune des deux pays. Ainsi on a pu se former une opinion sur la valeur des argumens invoqués des deux parts. Nous n’entrerons pas dans l’examen détaillé de ces pièces, qui sont, et par M. Adams et par le comte Russell, rédigées avec le soin le plus attentif, écrites sur le ton de la modération la plus scrupuleuse. Quand il s’adresse à la Russie ou à la diète germanique, à la Prusse ou à l’Autriche, toutes les dépêches du comte Russell s’expriment de la façon la plus hautaine et la moins conforme aux traditions diplomatiques ; le plus souvent il ne prend même pas la peine de discuter les faits : il se contente de prêcher la morale à ses interlocuteurs et de leur faire savoir les sentimens que la cruauté ou l’illégalité de leur conduite inspire au gouvernement de la reine et au peuple anglais ; mais, lorsqu’il parle aux États-Unis, il ne laisse passer aucun détail sans l’examiner sous toutes ses faces, il discute tous les principes avec un soin minutieux, et pour soutenir son opinion il fait preuve d’une richesse d’érudition vraiment remarquable. Au lieu de prendre les choses de haut comme un redresseur de torts, il consent à se tenir sur la défensive ; il se justifie, il ne retourne aucun argument d’une façon provocante, et il n’est pas une de ses dépêches qui ne commence et qui ne finisse par prodiguer aux