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II

En 1865, l’Angleterre procédant à de nouvelles élections générales nous offre le spectacle d’un peuple heureux, qui connaît son bonheur, et qui veut en jouir en paix avec tout le monde. Plus le siècle s’avance et plus il semble que se vérifie, au moins pour les Anglais, la prévision de Richard Cobden sur les résultats que produira politiquement et moralement la liberté des échanges entre toutes les nations. S’élevant fort au-dessus des intérêts où ceux qui ne l’ont pas connu personnellement étaient portés à croire que son imagination était absorbée, Richard Cobden ne voyait pas seulement dans l’établissement du free trade le soulagement des misères matérielles des classes pauvres ; il aimait encore à prédire que le développement des échanges, c’est-à-dire nécessairement aussi des rapports de confiance et d’amitié entre les citoyens de toutes les nations, serait plus puissant que les combinaisons des hommes d’état pour conjurer ce fléau de la guerre qu’il détestait de toute la force de son âme. En aidant à fonder le congrès de la paix, il n’était que conséquent avec lui-même, et si le but final qu’il se proposait doit être malheureusement considéré comme une chimère, il n’en est pas moins vrai que les victoires économiques de Richard Cobden semblent avoir eu pour résultat d’entraîner les Anglais à pas très marqués dans la voie où il avait résolu de les pousser. De même qu’on n’a jamais vu chez eux toutes les classes de la société aussi unies qu’elles le sont maintenant, de même on n’a jamais vu la politique extérieure de l’Angleterre plus conciliante et plus désireuse de ne pas se mêler aux affaires des autres. L’immensité de son empire qui lui ôte tout sujet de jalousie vis-à-vis de l’étranger, l’énormité des intérêts et des capitaux que, par suite de la réforme économique, elle a eu la faculté d’engager partout, la rendent à la fois plus accommodante et plus respectueuse pour autrui qu’elle ne l’a jamais été à aucune époque de son histoire. En 1865, les Anglais avaient la satisfaction de considérer comme épuisés les sujets de querelles qu’en 1863 et 1864 le comte Russell s’était ménages avec certains cabinets de l’Europe, s’engageant dans la discussion avec ardeur, mais sans résolution arrêtée, et sortant toujours du débat sans autre satisfaction que celle d’avoir prêché à tout le monde une morale impuissante. On espérait qu’instruit par l’expérience, si l’expérience a jamais profité au comte Russell, il se garderait bien de se lancer à nouveau dans de pareilles entreprises, qui rappelaient, moins les armes et moins les exploits, les aventures du dernier représentant de la chevalerie errante.

A vrai dire d’ailleurs, il n’était qu’un seul point d’où l’Angleterre