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la campagne à la tête d’une procession joyeuse que contribuent à grossir bon nombre de ceux qui n’ont pas voté pour lui. Défaits dans une épreuve loyale, in a fair play, ils auraient honte, s’ils semblaient en conserver aucun ressentiment. Ils suivent les corps de musique qui remplissent les rues et les campagnes de fanfares éclatantes, ils se joignent au cortège où dans des voitures de gala trônent en grand costume de belles dames qui, après avoir pris une part active à la lutte, prennent aussi leur part de la victoire. Ils n’ont pas pu faire réussir leur candidat, mais enfin le bourg ou le comté a son représentant, de qui la majorité n’attend que le triomphe de ses opinions, et de qui la minorité ne craint rien pour ses intérêts individuels ni pour ses intérêts de localité. Pour quelle raison se conserverait-on rancune de part ou d’autre ?

Sur les 658 élections qui composent la chambre des communes, il y en a plus de 600 où les choses se passent ainsi. Dans une vingtaine de cas, les vaincus refusent de rendre hommage aux vainqueurs, ils protestent même contre la sincérité de l’élection, soit qu’ils aient à dénoncer quelques violences exercées contre leurs personnes ou contre leurs partisans, soit qu’ils se plaignent de l’emploi d’influences illicites, ou de la libéralité trop grande avec laquelle le candidat heureux a traité leurs adversaires dans les hôtels et dans les cabarets du voisinage. Il est aisé d’expliquer ces divers griefs. Les élections se faisant toujours en public et le plus souvent en plein air, tout le monde s’en mêle, et quoique cela soit aujourd’hui beaucoup plus rare que jadis, il ne laisse pas d’arriver que parfois il éclate au sein de la multitude des rixes qui, naissant d’abord dans un groupe de quelques individus, finissent par devenir générales. Quant aux tentatives de corruption ou de pression exercées sur les électeurs, elles feraient sourire de pitié ceux qui connaissent les mœurs électorales de l’Amérique et d’autres pays. Jadis les Anglais n’étaient certes pas moins experts que d’autres en pareille matière, mais avec le temps la loi est devenue si rigoureuse et si nette dans ses prescriptions qu’il est à la fois dangereux et difficile de chercher à l’éluder. Cela cependant arrive, et chaque élection générale fournit en moyenne une vingtaine de protestations fondées sur des griefs plus ou moins sérieux, mais qui souvent seraient à peine considérés comme des péchés véniels, si l’on ne parvenait à les faire tomber sous le coup d’une loi qui se glorifie d’avoir prévu presque tous les cas.