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d’aussi fortement compromis dans la question d’une nouvelle réforme électorale que le premier ministre, le comte Russell, si ce n’est peut-être M. Gladstone, le plus illustre disciple de Robert Peel. Par contre encore, l’opinion opposée a aussi son projet de réformé, et elle a pour chefs : à la chambre des pairs, le comte Derby, qui fut l’un des plus ardens promoteurs de la réforme de 1832 ; à la chambre des communes, M. Disraeli, dont le nom même indique l’origine non aristocratique, et qui doit son titré de right honorable à ce qu’il a exercé en 1859 les fonctions de chancelier de l’échiquier. Tous les chanceliers de l’échiquier jouissent de la même prérogative.

Il est donc vrai qu’en Angleterre les exigences des lois et des mœurs font dans les élections une belle part aux positions acquises, à la propriété, ou même, si l’on veut, à l’intérêt aristocratique, mais il faut reconnaître aussi que cet état de choses est tout à fait conforme à l’esprit et au goût national. Croire autre chose, c’est se tromper, comme on ne se tromperait pas moins, si l’on imaginait que cette situation a été créée par la puissance de l’aristocratie, ou par des traditions contre lesquelles l’esprit nouveau n’a pas encore eu la force de réagir. Loin qu’il en soit ainsi, c’est au contraire sous l’influence du sentiment populaire plutôt que de toute autre cause que ces mœurs et ces lois se sont formées. Jadis, et il y a de cela moins d’un siècle, l’influence du gouvernement sur les élections était grande, et elle était d’autant plus grande que la position de député n’était pas incompatible avec les faveurs du pouvoir et les libéralités du budget. L’aristocratie d’alors mettait à profit cette latitude de la loi sans plus de scrupules qu’une autre classe, ayant plus de chances encore que les autres pour l’exploiter. Aussi n’est-ce pas pour favoriser l’aristocratie, c’est plutôt au contraire pour réprimer les scandales et les abus dont elle prenait largement sa part que se sont formées avec le bénéfice du temps les mœurs d’aujourd’hui. Il a fallu bien des années, mais enfin on a réussi à faire passer dans la pratique cet axiome, que la carrière parlementaire est une sorte de religion où il est interdit au prêtre de vivre de l’autel, et l’exemple des politicians, le plus grand fléau de la politique américaine, est là pour prouver que les Anglais n’ont pas après tout si grand tort.

On voit que le système anglais, même avec ses défauts, est plus conforme que la plupart des autres aux principes d’une saine liberté comme à l’intérêt du bon ordre dans la société ; on voit aussi que ses avantages résultent en très grande partie de l’organisation administrative. Je n’insisterai plus que sur un des points de ce vaste sujet, qui touche de plus près qu’on ne pense à l’étude de la situation actuelle de l’Angleterre. Les institutions et les lois étant