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comparaison passée jadis presque en proverbe dans la régence : « il en est de l’Arabe ainsi que de la queue du lévrier. Maintenez cette queue dix ans dans un canon de fusil, vous croirez l’avoir rendue rigide ; mais retirez-la, elle se dressera comme avant. »

Notre conclusion est facile à prévoir. C’est qu’il existe en Algérie des institutions kabyles démocratiques et communales qui pourraient frayer la voie aux institutions françaises et s’appliquer heureusement à bien des populations arabes d’apparence, berbères d’origine ; il est un élément kabyle ou berbère qui, jusqu’au jour où l’Algérie sera digne d’être une seconde France, peut servir d’instrument actif à notre politique. L’intérêt même de la civilisation, malgré la singulière contradiction des mots, semble réclamer le concours de ces barbares du vieux temps. Et aujourd’hui que l’Afrique attentive voit la question algérienne hautement agitée au sein des conseils de la métropole, la France aurait peut-être des reproches à se faire, si elle se montrait trop oublieuse des services que les Kabyles ont déjà rendus, ou dédaigneuse de ceux qu’ils sont appelés à rendre.

Quand le vent du désert souffle sur la tête des palmiers en fleur et entraine au loin la poussière féconde de leurs étamines, que de principes vitaux dispersés ! Mais voilà que sur leur route quelques grains de cette poussière rencontrent d’autres dattiers, s’y reposent, s’y développent, et bientôt pend en grappes luxuriantes ce fruit précieux qui nourrit les caravanes et se transporte au bout du monde. Ainsi, dans la masse d’idées que chaque jour jette au vent de la discussion, combien d’égarées et de perdues ! Cependant, s’il en est parmi elles qui renferment un principe fécond et défendent une cause juste, tôt ou tard l’heure vient où sur leur route elles rencontrent l’opinion publique ; elles y pénètrent, y germent, y mûrissent, et les fruits sont portés. — Est-ce trop présumer de la cause kabyle que d’y voir une cause féconde et juste ? A ceux sans doute qui ont la haute expérience et le maniement pratique des affaires de tracer, dans ce projet de kabyliser l’Algérie, les limites du possible. Pour notre part, nous croyons fermement qu’il n’y a pas là seulement une idée spéculative ; il y a une vérité applicable qui mérite de faire son chemin, — et qui le fera.


N. BIBESCO.