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qu’ils n’ont guère la fibre religieuse : forcés de vivre côte à côte avec les Arabes, ils jugèrent superflu de se battre pour d’anciennes croyances qu’ils n’avaient pas à cœur, et trouvèrent plus commode d’adopter les nouvelles, quitte à en prendre à leur aise pour les pratiquer. Les Arabes d’ailleurs ne connaissaient point les demi-mesures pour établir leur religion. Au VIIe siècle, ils brûlaient les livres de la bibliothèque d’Alexandrie sous prétexte que, conformes au Coran, ils étaient inutiles, et contraires, ils étaient nuisibles. Au XIe siècle, ils détruisirent tous les livres d’histoire et de science berbères, de peur qu’en les lisant les Kabyles n’y trouvassent un aliment à leur orgueil, un encouragement à renier la foi. La suppression de ces livres était bien faite, on pense, pour saper profondément la langue kabyle, et avec la langue les coutumes mêmes dont elle est la sauvegarde. Et c’est chose sérieusement remarquable qu’en dépit de tant d’obstacles cet idiome ait pu vivre jusqu’à nos jours.

Si violemment toutefois que se soit alors imposé le règne des Arabes à l’Algérie, leur histoire n’en indique pas moins un état de lutte incessant, comme un flux et un reflux perpétuel entre les deux élémens kabyle et arabe. Les Kabyles ne se tinrent certes pas toujours sur la défensive. Une des plus vaillantes tribus djurdjuriennes, les Aït-Mellikeuch, posséda quelque temps les plaines mêmes de la Metidja, et c’étaient des Kabyles que ces Imezarenen qui occupaient les environs d’Alger quand les Turcs prirent pied sur le territoire algérien. Le régime turc trouva cet état de division utile à l’esprit de sa politique ; mais c’est avec l’élément arabe qu’il s’allia parce qu’il le trouva plus facile à courber, c’est des Arabes qu’il se servit surtout pour combattre, sans réussir à le dompter, l’autre élément, plus vivace, plus ardent pour l’indépendance, et ainsi à travers l’époque turque comme à travers les autres s’est transmise jusqu’à nous la nationalité kabyle avec son individualité victorieuse de bien des vicissitudes.

« Les Berbères, écrivait Léon l’Africain au XVIe siècle, sont épars et mêlés par toute l’Afrique au milieu des Arabes ; mais la connaissance en est autant facile comme il est aisé de discerner le natif d’avec l’étranger, et ont toujours la pique l’un contre l’autre, se donnant bataille et se faisant continuellement la guerre entre eux-mêmes. » Voilà bien en effet le défaut séculaire de la race. Si les Kabyles n’avaient pas eu ce penchant inné à se diviser en confédérations, en tribus rivales et même en soffs rivaux au sein de leurs villages, s’ils avaient pu se créer un centre politique commun sous un seul chef ou sous un pacte fédératif immuable, les plaines de l’Algérie ne leur auraient pas échappé plus que les montagnes du Tell ou