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des intérêts purement égoïstes ; elle avait à y porter des idées assimilatrices, à y poursuivre le développement de la prospérité matérielle et tout ensemble la moralisation du pays. — Avec ses devoirs et ses principes, elle ne pouvait vouloir des moyens turcs ; par sa manière de pacifier le Djurdjura[1], elle a prouvé de plus qu’elle n’en avait pas besoin.


III

Ainsi la France a bien fait, à notre gré, de ne point imiter les Romains et les Turcs ; elle a bien fait ce qu’elle a fait dans le Djurdjura. N’est-ce là pourtant qu’un succès local ? N’y a-t-elle pas recueilli plus encore ? Elle y a recueilli une grande leçon, car elle y a étudié de près la race kabyle pure, elle l’a étudiée à sa source ; elle y a découvert la vraie manière de la prendre et de la gouverner[2], elle y a trouvé le germe d’une question sérieuse de politique et d’administration algériennes que nous appellerons la question kabyle ou la cause de l’élément indigène le plus vivace et le plus assimilable avec nous. Oui, il y a une question kabyle en Algérie, question ignorée longtemps ou méconnue, qui réclame sa place à côté et en face de la question arabe ; il y a une question kabyle parce qu’il y a une vraie race kabyle ou berbère, qui à travers les siècles a conservé son caractère, qui n’existe pas dans le Djurdjura seul, mais se rencontre éparse sur le sol africain et y mérite vraiment le nom de nationalité.

Quand cette question pouvait-elle naître ? Est-ce dans les premières années qui ont suivi 1830 ? Mais on ne savait encore si l’on garderait ou si l’on quitterait la colonie, et le loisir manquait pour sonder les tendances diverses des indigènes, qu’on englobait tous dans le nom de bédouins ou d’ennemis. Est-ce plus tard, sous le glorieux commandement du maréchal Bugeaud ou sous les gouvernemens qui se succédèrent jusqu’à l’expédition de Kabylie de 1857, durant cette période où, l’Afrique se pacifiant de plus en plus, on rêvait d’éteindre par la conciliation le foyer suprême de la résistance kabyle dans le Djurdjura ? Non plus ; pour faire fond sur la race kabyle, on avait d’abord à détruire par les armes tout le prestige de son indépendance séculaire. Une fois la campagne du Djurdjura faite et réussie, une fois livrée la bataille d’Icheriden, qu’on peut appeler l’effort désespéré, la dernière journée de poudre de la race berbère contre la conquête française, la question kabyle

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1865.
  2. Voyez la Revue du 1er et du 15 avril 1865.