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ils l’ont tuée : de la ville ils firent un misérable village qui, en 1830, offrait à peine deux cents maisons, deux cents ruines. Que l’on s’inquiète pareillement de savoir ce qu’étaient les champs qu’ils occupèrent, comparés à ceux qui sont restés libres ou abrités contre leurs attaques. Les uns différaient des autres comme la misère de la richesse.

« Où le Turc a passé, cent ans la terre reste inféconde, » voilà ce que répètent aujourd’hui encore les indigènes ? voilà ce que négligent de dire ceux qui exaltent le système turc, et se contentent de prétendre qu’avec 16,000 hommes ce système obtint plus de résultats de soumission que nous avec 80,000. Ce que furent, à les bien prendre, ces résultats, on a pu en juger dans le cours de cette étude. Il importe d’ajouter cependant qu’on oublie trop aussi de placer en ligne de compte un avantage que les Turcs avaient sur nous pour dominer l’Algérie, avantage qui vaut bien des milliers d’hommes : la religion. Deux grandes sectes, on le sait, divisent l’islamisme : les sunnites ou orthodoxes et les schiites ou sectaires ; c’est à la première qu’appartiennent à la fois Algériens et Turcs. Qu’ils soient de rites différens, les uns malékites, les autres hanéfîtes, on a trop insisté, ce nous semble, sur cette distinction qui n’en est guère une qu’en matière de jurisprudence ? en fait de pratiques religieuses, la différence apparente se borne à lever les mains à hauteur de la tête en priant, ou à les croiser sur la poitrine. Il n’y a là, répétons-le, que des rites, il n’y a pas de sectes, et ces rites demeurent reconnus comme également orthodoxes. Dans l’église gallicane et dans l’église romaine, n’y a-t-il donc pas des rites divers ? Les grecs-unis, bien que ralliés à Rome, continuent à faire leur signe de croix comme les schismatiques, avec trois doigts joints et en portant la main à l’épaule droite avant la gauche ; leurs prêtres se marient, leur liturgie est particulière, et rien de cela pourtant ne les écarte du giron de l’église romaine. Les preuves historiques témoignent fort bien au reste de l’identité de religion entre Turcs et Algériens. C’est d’abord au nom de l’islamisme que le fondateur de la régence fut appelé à Alger par les Arabes, et l’un de ses premiers, de ses plus solides soutiens, fut un marabout descendant du célèbre Abd-er-Rahman-et-Taalebi, en grand honneur auprès des indigènes. Un curieux registre de correspondances que nous avons eu sous les yeux, et qui émanait de plusieurs caïds turcs de Boghui, montra à son tour que c’était de préférence aux docteurs du Coran, aux marabouts, que l’autorité turque avait recours en Kabylie ; c’étaient eux qu’elle trouvait les plus faciles à gagner. Enfin, dans une lecture des Chroniques de la régence d’Alger, traduites d’après un manuscrit arabe, deux pages vraiment belles nous frappaient récemment. La première est une réponse