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le nombre de ses soldats et le mode de son recrutement. « Le nombre des soldats qui forment la milice, écrivait le chevalier d’Arvieux en 1674, n’est jamais fixe. Il se trouve plus grand quand les recrues arrivent, et moindre au retour des campagnes sur terre ou sur mer, parce qu’il en périt toujours quelqu’un. Pendant mon séjour, il y avait environ 20,000 soldats de solde, dont les uns étaient Turcs naturels, les autres renégats de toute sorte de nations. Quand le nombre des Turcs naturels est diminué, les vaisseaux d’Alger vont dans le Levant et y font des recrues, c’est-à-dire qu’ils ramassent tous les bandits, les rebelles, les fugitifs pour dettes ou pour crimes, en un mot tous les excrémens des états du grand-seigneur. On envoie ces soldats en garnison dans les villes ou forteresses des frontières. Ils sont relevés régulièrement tous les printemps, et l’on réserve toujours 4 ou 5,000 hommes dans la ville pour les besoins imprévus. »

Cinquante ans plus tard, Peyssonnel ne comptait que 12,000 Ottomans dans la milice ; mais lui aussi il constate que la dénomition de régime turc appliquée au gouvernement de la régence n’est pas flatteuse pour les Turcs du Levant, dont la milice algérienne ne représentait que le rebut. Même observation faite par le voyageur anglais Shaw, qui, aux troupes ottomanes de l’odjack, ajoute 2,000 fantassins zwawah[1], sous cette réserve que, « naturellement ennemis des Turcs, le dey ne s’y fie point, car il sait que dans les grandes occasions il ne pourrait se reposer sur eux. » En résumé, ce qui ressort de certain des données statistiques diverses, c’est que la milice turque comprenait une quinzaine de mille hommes, dont l’élément indigène se trouvait rigoureusement exclu. Les kourouglis, fils de Turcs et de femmes indigènes, n’y étaient admis que parce qu’ils avaient du sang turc, et encore sans pouvoir aspirer aux charges suprêmes. Avec le consentement du sultan de Constantinople, les pachas d’Alger, suivant les besoins, exerçaient une sorte de presse sur les côtes des deux Turquies d’Asie et d’Europe ; aussitôt levées, les recrues s’incorporaient dans la milice, et après trois ans d’activité, on en faisait des vétérans qui, sauf les cas graves, n’étaient plus tenus ni au service de marche en corps d’armée ni au service de nouba dans les forteresses, mais formaient une réserve pour parer aux éventualités. — Or, si leur

  1. Voyez Shaw, Voyage dans plusieurs provinces de la Barbarie et du Levant. — Il a existé en effet une infanterie irrégulière appelée zouaoui au service des Turcs. Elle semble dater de l’époque où Hassan-Pacha, marié à la fille du roi de Koukou, avait ouvert Alger aux Kabyles de la montagne, et ce sont les Zouaouas qui auront donné leur nom à cette infanterie, comme ils l’ont donné à nos zouaves ; mais avec le temps cette troupe irrégulière perdit complètement l’élément kabyle, qui paraissait suspect, pour ne contenir plus que des Arabes.