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que tout ce qui vous réjouit me réjouisse. » Deux leçons, l’une sérieuse, l’autre plaisante, durent détruire ses illusions. La première, ce sont les Zouaouas qui la lui donnèrent. Un certain Amrouch, d’une famille zouavienne influente, pris de la soif du commandement, vint vers l’agha et lui promit d’amener à soumission le Djurdjura tout entier, si les Turcs lui fournissaient appui et lui laissaient pleins pouvoirs. Le marché conclu, Amrouch demande que l’odjack saisisse et emprisonne dans Alger les Zouaouas voyageurs qui parcouraient alors la régence, et lui-même regagne son village, où il se porte garant d’obtenir la délivrance des prisonniers à la condition que les Zouaouas paieront à l’agha l’impôt d’une année. Sans différer, la tribu s’exécute ; d’Alger les détenus sont élargis, et tout semblait marcher à souhait. Seulement, dès que les captifs relâchés furent rentrés au pays, les Zouaouas lapidèrent Amrouch et firent savoir à l’agha qu’on n’eût pas à se méprendre sur l’argent qu’ils avaient payé : ce n’était pas l’impôt de l’année, ce n’était que la rançon de leurs frères. — Quant à la leçon plaisante, aux Aït-Irguen en revient l’honneur, et ils rient de bon cœur encore en la racontant. L’agha insistait avec les plus bienveillantes assurances pour que les Irguen payassent quelque impôt, un peu, si peu que ce fût. Les Irguen lui envoient une députation chargée d’exprimer leurs regrets très sincères ; mais comment se soumettre quand le saint marabout enterré dans leur montagne et dont l’esprit les inspire ne le veut pas ? Que l’agha, s’il doute, charge un de ses lieutenans de venir en personne le vérifier… L’agha délègue en effet un officier qui part avec la députation ; on arrive au Djurdjura. La tombe du saint était au pied d’un rocher gigantesque ; un Kabyle à la voix puissante s’avance et crie : « Saint marabout, à toi de décider si nous devons nous soumettre ou non ! — Non ! répond avec force l’écho fidèle. — Tu l’entends, disent alors au Turc les Irguen sans sourciller ; va, répète à ton maître que, si nous ne consentons pas le tribut, c’est vraiment que l’âme de notre protecteur nous le défend. »

Effir Yahia oulach thamarth (après Yahia il n’y eut plus de longue barbe), c’est un dicton de la montagne qui signifie qu’il n’y parut désormais plus de colonne turque commandée par quelque haut dignitaire ayant droit de porter barbe longue ; l’heure suprême du règne des deys n’était pas loin. Aussitôt connue la nouvelle « que la bannière française enveloppait Alger la guerrière, » tous les forts turcs du pays kabyle furent assaillis ensemble par les populations révoltées ; les garnisons n’eurent plus qu’à fuir ou à mourir, et près de Bordj-Sébaou, au fond d’un puits noir comme dans une tombe béante, on montre maintenant encore les os