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Ces tribus diverses étaient du voisinage et presque sous la main des maîtres du bordj. Dès que Mohammed veut avancer au-delà et entamer le massif djurdjurien, il échoue comme il avait échoué en poussant trop loin dans la vallée du Sébaou. Il arrive une fois sur les pentes des Zouaouas et les menace de bâtir un fort à la place même de son camp de Tizi-el-Bordj. Pour toute réponse, les Zouaouas tombent en masse sur sa troupe, qui, surprise, presque cernée, tourne le dos sans se défendre. — Deux branches coupées sur un olivier avaient servi de piquets à la corde des chevaux du bey ; le lendemain de sa fuite, elles avaient pris racine ; ce sont aujourd’hui deux arbres magnifiques qui consacrent fièrement le souvenir d’une victoire kabyle. L’an d’après, c’est aux Aït-Ouassif qu’il s’en prend, et il tente d’enlever le grand marché de la tribu ; mais vite est donné l’éveil : les Kabyles laissent Mohammed s’engager dans un chemin étroit bordé d’un précipice, puis, lui barrant le passage, ils jettent trente de ses cavaliers dans l’abîme. — Nous suivions un jour ce chemin : « Tiens, regarde, nous dit notre guide, voilà le trou des cavaliers de Bey-Mohammed. » — Battu par les armes, le bey espère prendre sa revanche en jouant de finesse ; il oubliait qu’avec les Kabyles on a souvent affaire à plus fin que soi. Un envoyé du bordj apporte du pain blanc aux Ouassif avec promesse que, s’ils se soumettent, ce pain deviendra leur nourriture de chaque jour. « Reporte au bey son pain blanc, répondent les Kabyles, et répète-lui que nous préférons notre piment rouge, qui fait circuler le sang plus vif dans nos veines et nous donne plus d’ardeur encore pour combattre l’étranger. » Nouveau stratagème : quelques marabouts gagnés annoncent à grand fracas que le prophète est apparu à Bey-Mohammed, lui ordonnant de faire boire son cheval dans la fontaine des Ouassif. « Le bey viendra donc à cheval, ajoutent-ils, avec une faible escorte, et au nom du prophète nous lui devons bon accueil. » Sur ce, gros émoi et tumulte dans la tribu. « Non, le bey ne violera pas notre territoire, s’écrie le plus grand nombre. — Voulez-vous que le prophète vous maudisse ? — Le prophète ne nous maudira point ; qu’ordonne-t-il ? Que le cheval de Mohammed boive à notre fontaine ; eh bien ! le cheval boira, » et une députation d’Ouassif alla chercher le cheval, l’amena boire et le reconduisit vers son maître.

Ainsi, malgré la terreur qu’inspirait Mohammed, son crédit ne s’étendait guère, et, pour imposer davantage aux populations djurdjuriennes, le gouvernement de la régence faisait alors de Bordj-Boghni une étape où devaient se montrer avec leur fastueux appareil les beys de Constantine, quand ils apportaient leurs contributions annuelles à Alger. Une année, le bey de Constantine et son escorte arrivent au bordj comme de coutume ; Mohammed était