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exécutèrent de grandes choses qu’ils n’auraient pas faites sans son secours[1]. » Néanmoins les Arabes des environs d’Alger, jaloux de son influence, jaloux de la royale hospitalité qu’il reçoit au palais, obtiennent que le pacha se décide à le sacrifier. Averti à temps, Abd-el-Aziz « se sauve vers les montagnes sur un cheval fort vite, et aussitôt songe à se fortifier et à déclarer la guerre. » Ce fut une guerre de quatre ans, acharnée et glorieuse, qui ne finit qu’avec la mort même du Kabyle. « Craignant que la réputation de cet Africain ne soulevast tout le pays, » Salah-Raïs tente d’attaquer la montagne en plein hiver ; les montagnards n’eurent pas à se défendre, ils laissèrent faire la neige, qui chassa l’ennemi. Au printemps, c’est le roi des Abbès qui prend l’offensive et fond sur les vassaux d’Alger ; mille mousquetaires et cinq cents cavaliers turcs, accompagnés de six mille Arabes et conduits par le fils même du pacha, viennent à sa rencontre. « Il leur donna bataille où les Turcs eussent esté entièrement défaits sans le secours des Arabes, de sorte qu’ils se retirèrent avec perte de leurs gens et de leur réputation. » Un retour offensif de cinq cents soldats de l’odjack fut encore plus désastreux pour les Turcs, « et sans donner quartier à personne, le seigneur des Abbès tua tout, à la réserve de deux chefs. » Salah-Raïs faisait d’énormes préparatifs de vengeance ; la mort l’arrêta (1556). Son successeur Hassan était homme de conciliation, il voulut négocier, il demanda même au roi des Abbès la main de sa fille ; elle lui fut refusée. La mesure se trouvait comble ; une véritable armée, avec le pacha à sa tête, alla donner l’assaut à la montagne. Sur les premières pentes, les Kabyles, trop pressés d’entrer en lutte, se laissent battre. Abd-el-Aziz voit leur désordre et leur commande de courir se rallier au sommet de la montagne ; ainsi firent-ils, et, attendant la retraite des Turcs vers leur camp, « ils les chargèrent en queue de si près que la plupart jetèrent leurs armes pour mieux fuir. » Huit grands jours, le chef kabyle « opiniastra le combat contre les Turcs et les repoussa souvent ; mais à la fin, comme il s’avançoit pour darder sa lance dans leur bataillon, ils luy tirèrent tant de coups qu’ils le tuèrent et purent se saisir de son corps. » Voit-on au moins les Turcs poursuivre leur victoire et marcher alors sur la capitale des Aït-Abbès, Kâlah l’imprenable ? Point du tout. « Ils songèrent que leurs forces ne leur servoient de rien dans ces montagnes où journellement ils perdoient des soldats, et prirent la route d’Alger, remportant pour unique trophée la teste de leur ennemi » (1559).

C’était par rivalité contre le roi de Koukou que les Abbès furent

  1. Marmol, tome II, liv. V, ch. LVII ; trad. de Perrot d’Ablancourt.