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ces présages. L’armée kabyle, sans chef, se débanda ; les Djurdjuriens regagnèrent leurs montagnes (1520). Délivré de son plus terrible rival, Khaïr-ed-Din put en sécurité reprendre et son trône et son œuvre.

Les Kabyles avaient échoué ; échec toutefois ne signifiait pas soumission, car dès la mort de Bougtouch paraissent dans l’histoire les noms de souverains kabyles indépendans, ceux des rois de Koukou et des Abbès. Des rois kabyles, des rois de républiques, qu’est-ce à dire ? Ne prenons pas au pied de la lettre ce titre de roi qui, dans la bouche des chroniqueurs espagnols, prouve seulement toute l’importance politique de ceux qu’ils en décorent. « Ces princes, dit avec raison le père Dan[1], ne tenoient ni cour ni train dignes de ce haut titre : c’étoient des roitelets recognus par les Maures des montagnes, qui leur obéissoient comme à leurs chefs. » Or, malgré la répugnance des Kabyles actuels à centraliser le pouvoir entre les mains d’un seul, ne les avons-nous pas vus en temps de guerre s’élire par tribu un amine-el-oumena, sorte de général dont les fonctions cessaient avec les événemens militaires qui les avaient fait naître[2] ? Le roi de Koukou était de même sans doute le chef élu des Zouaouas d’alors ; le roi des Abbès était le général des Aït-Abbès, et tant que ce nom de rois, kabyles se montre dans l’histoire, c’est à coup sûr que la Kabylie était sur le pied de guerre. En effet, les rois de Koukou et des Abbès commencent par rester neuf années en hostilité ouverte avec Khaïr-ed-Din, et ils ne consentent à traiter que lorsqu’en 1529 la prise de ce fort espagnol du Pegnon, qui bravait Alger, vient jeter un lustre nouveau sur la gloire du second Barberousse.

Néanmoins la tendance des Kabyles à se rapprocher en toute occasion des ennemis de la régence suffit à prouver combien cette réconciliation était peu sincère. En 1541, lors de la grande expédition conduite par Charles-Quint contre Alger, le roi de Koukou envoie à l’empereur un secours de deux mille hommes qui ne rebroussent chemin qu’à la nouvelle du désastre de l’armée espagnole ; puis, par une contradiction soudaine, ce Charles-Quint, l’allié de la veille, les montagnards lui deviennent hostiles aussitôt qu’ils le voient, jeté par la tourmente sur la côte de Bougie, atterrir trop près de leurs montagnes. Les papiers d’état du cardinal de Granvelle caractérisent la situation en quelques lignes saisissantes : « sa majesté, débarquée à Bougie, fit ordonner un bastion triangulaire pour fortification de la ville, car elle estoit tout environnée de

  1. Histoire de Barbarie et de ses corsaires, écrite on 1637, liv. II, ch. V.
  2. Voyez la Revue du 1er avril 1865.